jeudi 9 décembre 2010

Critique 188 : SPIROU ET FANTASIO, TOME 7 - LE DICTATEUR ET LE CHAMPIGNON, de Franquin

Les Aventures de Spirou et Fantasio : Le Dictateur et le Champignon est le 7ème album de la série, écrit (avec Rosy) et dessiné par Franquin, publié en 1956.
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Le Comte de Champignac a concocté à l'aide d'un champignon un gaz baptisé le "Métomol", dont la propriété est de ramollir le métal. Après avoir fait une démonstration à Spirou et Fantasio venus rendre visite au Marsupilami, le Comte se fait dérober le produit par l'animal qui va alors faire des dégâts en ville.
Ces catastrophes font comprendre aux héros que la bestiole doit regagner la jungle de Palombie (d'où ils l'ont ramené dans le tome 4 : Spirou et les Héritiers), son domaine naturel, puisque lee jardin zoologique a dû fermer après avoir fait faillite.
Le voyage en paquebot puis en avion est ponctué par de nouvelles gaffes du Marsupilami et finalement Spirou, Fantasio et Spip sont parachutés en rase campagne. Ils gagnent la capitale Chiquito et découvrent alors que le pays est à la botte de l'armée et du mystérieux général Zantas, qui les convoque à son palais après une bagarre dans un bar.
Nos héros retrouvent alors dans ses habits de dictateur le cousin de Fantasio, Zantafio (lui aussi rencontré dans le tome 4), qui leur propose de devenir ses colonels car ils préparent l'invasion du Guaracha. Ils refusent avant de se raviser dans le but de saboter ce plan.
Par chance, Seccotine, en reportage, les croise et leur permet de communiquer en secret avec l'extérieur, commandant à Champignac du Métomol grâce auquel ils pourront neutraliser l'armée palombienne.
Le projet de Zantafio échoue et il disparaît en jurant de se venger. Il ne reste plus qu'à ramener le Marsupilami dans sa jungle, mais l'animal, attaché à ses maîtres, les suit à leur insu...

Bien que Franquin ait toujours jugé sévèrement son oeuvre, ne ménageant ni ses scénarios (souvent improvisés !) et son dessin de l'époque, on ne peut qu'être étonné et épaté par la maestria de son run sur Spirou, où après des débuts hésitants sous influence Jijé, il a su finalement très vite se trouver et imprimer sa marque sur la série. A cet égard, Le Dictateur et le Champignon est assurèment un des sommets de son oeuvre "spiroutiste" (comme il la qualifiait), le tome de la maturité.
Le récit est ambitieux et ne déçoit jamais, aussi riche en gags (fournis par un Marsupilami en grande forme, "métamolant" tout Champignac, semant la panique à bord d'un paquebot en libérant un gorille mais aussi à bord d'un avion de ligne - qui effectue un looping ! - , et déclenchant dès l'arrivée à Chiquito une bagarre dans un bar) qu'en action (la description d'une dictature sud-américaine et comment la faire chuter, en "bazookant" des chars ou en détournant un jet). On a là 62 pages d'un haut niveau, menées à un rythme d'enfer, avec du suspense, de l'humour, et même de politique.
Car ce qui distingue ce volume 7 des aventures précédentes, c'est bien - même si Franquin se défendait de réaliser autre chose que de simples bandes dessinées pour la jeunesse - qu'il préfigure un pan entier de la bibliographie de son auteur en dénonçant les dérives idéologiques au nom de la politique. Dans ses Gaston, Franquin s'engagera plus franchement pour la défense de l'écologie et contre le militarisme, parfois avec naïveté, parfois avec subversion. Mais l'origine, la source de cela, c'est sans doute Le Dictateur et le Champignon.
La couverture (un exercice que l'artiste n'appréciait pas et où il ne se trouvait pas bon) est déjà surprenante puisqu'on y voit les héros en uniforme de colonels de l'armée palombienne dirigée par Zantafio : Spirou et Fantasio passent d'ailleurs la majorité de l'histoire dans ces habits et cela a valeur de symbole. Ils ne sont plus seulement des aventuriers reporters, mais bien des anarchistes déguisés en hommes d'un pouvoir injuste, répressif, résolus à saboter un régime et un projet d'invasion de l'intérieur.
Le retour au premier plan de Zantafio, après son apparition dans Spirou et les Héritiers, est un double évènement : d'abord, c'est la première fois qu'un adversaire du tandem resurgit, et ensuite, il s'agit d'un vrai méchant, d'un sale type. Bien plus que Zorglub, dont la maladresse le rend cocasse donc sympathique, le cousin de Fantasio est un authentique malfaisant, dont les motivations et les méthodes (paranoïa, espionnage, mégalomanie) n'ont rien de comiques. Franquin était troublé de lui avoir donné les traits de son ami (et futur co-scénariste) Greg, alors qu'il ne le connaissait pas encore et qu'il se refusait à caricaturer ses collaborateurs. Mais au-delà de cette anecdote, on retiendra plutôt une séquence formidable comme celle du discours de Zantafio devant une foule qui, comme il l'apprendra ensuite, n'a rien entendu à ce qu'il disait car les micros ne fonctionnaient pas : après les cascades de Fantasio dans le Grand Bazar de La Corne de rhinocéros, évoquant les Temps Modernes, c'est au Dictateur du même Chaplin qu'on pense cette fois. Les grands esprits se rencontrent...
Seccotine revient également dans cette histoire, de manière tardive et discrète mais décisive puisqu'elle permet aux héros de mener leur révolution à bien : moins peste mais toujours aussi mignonne, la reporter du "Moustique" reste un personnage féminin d'un modernisme exemplaire dans la bd des 50's.
Enfin, le Marsupilami se taille la part du lion avec des morceaux de bravoure mémorables, écrasant l'écureuil Spip : l'épilogue dans la jungle est tout un symbole, résumant l'affection des héros pour l'animal et réciproquement mais aussi celle de Franquin pour sa créature (la seule dont il tint à garder la propriété exclusive une fois son run sur Spirou achevé).

Graphiquement, l'album est éblouissant de bout en bout : conservant un découpage classique (avec l'emploi du gaufrier), Franquin tire le maximum de son dispositif narratif. La fluidité du flux de lecture est redoutable et donne un tempo échevelé au livre qui se dévore plus qu'il ne se lit.
On voit avec quelle maîtrise le dessinateur valorise les premiers plans quand l'action prime et sait soigner les décors quand il faut situer cette même action : sa Palombie est une synthèse magnifique de l'Amérique du Sud, avec sa sierra, sa capitale à la fois modeste dans son centre et bourgeoise dans ses quartiers résidentielles. La manière dont Franquin arrive à nous faire comprendre où et quand on est est une vraie leçon, c'est toujours limpide et efficace.
Bien entendu, sa gestion des personnages, avec le soin apporté à la gestuelle, l'expressivité, les déplacements, est toujours aussi saisissantes : rien que pour ça, il faut lire et relire ces albums qui sont comme des cours de bandes dessinées, d'art séquentiel avant l'heure ! Tout y est tellement facile, élégant, tout est tellement juste : c'est impressionnant, 54 ans après ça n'a pas pris une ride.

Un chef-d'oeuvre ! Pas moins !

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