Lucky Luke : L’Empereur Smith est le 45e album (mais le 13ème édité par Dargaud)de la série, écrit par René Goscinny et dessiné par Morris, publié en 1976.
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A Grass Town, Lucky Luke rencontre Dean Smith, le plus riche éleveur de la région, devenu gentiment fou depuis qu'il a fait fortune : il s’imagine être l’empereur des Etats-Unis ! Grâce à son argent, il a engagé une petite armée et voue un culte à Napoléon 1er. Amusés par sa loufoquerie, les habitants de Grass Town jouent la comédie, mais la situation va se gâter quand le bandit Buck Ritchie réussit à approcher Smith et à le convaincre de lever ses troupes pour s'emparer de la ville (pour s'emparer de l'argent de la banque)...
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Selon la méthode qu'il a développée en devenant le scénariste de la série, Goscinny s'est inspiré d'un personnage authentique pour créer son empereur Smith : il s'agit, comme c'est expliqué à la fin de l'album, de l'excentrique Joshua Norton, qui perdit la tête mais après avoir fait faillite. Néanmoins, il s'autoproclama Empereur des Etats-Unis et Protecteur du Mexique, et les habitants de San Francisco ne le contrariaient pas, les journaux publiant même ses décrets.
Sur cette base, Goscinny, avec sa meilleure verve, brode une fable sarcastique sur le pouvoir, les courtisans, et la folie qui peut gagner ceux qui exercent le premier et ceux qui les entourent. Le scénariste mène son affaire sur un rythme soutenu, démontrant son aisance dans le gag et le comique de situation. Cette dernière est grotesque mais jamais Goscinny ne sombre dans la facilité et avec une lucidité mordante épingle cette société où tous (sauf Lucky Luke et le juge Barney) retournent leurs vestes par intérêt ou grisés par l'ascendant qu'ils acquièrent (ainsi le colonel Gates, qui, comme Iznogoud, une autre création de Goscinny, aimerait bien être empereur à la place de l'empereur).
L'auteur excelle aussi dans la caractérisation : Lucky Luke, en tant que tel, n'est pas un héros passionnant. C'est certes un cowboy indépendant, altruiste, courageux, conscient des absurdités du monde, fabuleux pistolero, justicier pugnace, mais il est surtout un témoin détaché, de passage, et bonhomme. Ce qui rend ses aventures drôles et palpitantes, c'est le contraste produit par ce héros impassible, les personnages délirants qu'il croise et la manière dont il rétablit l'ordre, ou plutôt la raison dans la folie ambiante.
Avec cet empereur, Goscinny tient un protagoniste de taille, capable d'éprouver le flegme du cowboy : à cet égard, la couverture où, interloqué, il est épinglé par Smith, tandis que Jolly Jumper s'esclaffe, résume parfaitement le contenu.
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Morris illustre cette histoire avec un savoir-faire redoutable : tout paraît tellement facile sous le crayon de ce maître de la bd franco-belge qu'on peut avoir la fausse impression qu'il dessine sans se forcer, en pilotage automatique.
Mais rien n'est plus erroné : d'abord Morris a l'intelligence de ne jamais en rajouter, confiant dans l'écriture ciselée de Goscinny, et ensuite un examen attentif de ses cases, de ses planches, de ses codes couleurs prouvent avec quel souci du détail, quelle science de l'effet, il est toujours juste dans l'action et l'émotion.
Lucky Luke est une bd mise en scène comme une chorégraphie, avec une rigueur implacable, mais qui ne se fait jamais sentir.
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Un véritable sommet de la série où la complémentarité entre Morris et Goscinny est d'une virtuosité épatante : immanquable !
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