dimanche 14 février 2010

Critique 129 : BATMAN : PRIVATE CASEBOOK, de Paul Dini (et Peter Milligan) et Dustin Nguyen



Le run de Paul Dini sur la série Detective Comics mérite vraiment d'être découvert car il représente exactement ce que de bons épisodes de Batman devraient être, accessibles pour les néophytes et jubilatoires pour les fans. Cinq des histoires rassemblées dans ce Batman: Private Casebook ont été publiées à l'origine comme des récits complets unitaires (à l'exception de l'intrigue en deux parties dont Zatanna est la guest-star), mais les six forment un ensemble parfait pour qui ne veut pas lire d'autres titres de la gamme.
Ce recueil contient les numéros 840 à 845 du titre mensuel Detective Comics et en bonus une courte histoire (5 pages) issue de DC Infinite Halloween Special 1.
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Ces épisodes sont illustrés par Dustin Nguyen dans un style qui, au départ, peut dérouter par son aspect plutôt sombre et anguleux. Mais passé ce moment d'acclimatation, c'est un dessin d'une rare efficacité et d'une réelle beauté qui s'impose, dont émane une certaine poésie inhabituelle par rapport auux standards graphiques des comics mainstream.
Le découpage est en outre d'une grande richesse, avec des cases qui se chevauchent et des masses noires qui enveloppent toute la page et semblent immerger l'action dans une éternelle nuit liquide comme de l'encre. L'encrage, sublime, de Derek Fridolfs, et les couleurs, magnifiques, de John Kalisz, sont également pour beaucoup dans l'impact créé par ces pages atypiques et envoûtantes. Le charme est si puissant, esthétiquement, qu'il suffit à justifier la nouvelle d'Halloween dont l'intérêt est pourtant dispensable.
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L'autre point faible de l'album est le chapitre écrit par Peter Milligan où, étrangement, Bruce Wayne est dépeint comme un crétin, incapable de maîtriser une armure que lui a légué son ancienne fiancée (Talia Al Ghul), alors même que Batman est l'archétype du super-héros maître de lui-même, dôté d'un exceptionnel sens de l'anticipation, et habitué depuis le début de sa carrière à dompter ses démons intérieurs.
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Restent donc les 5 histoires écrites par Paul Dini :

- la première est une conclusion au retour de Ra's al Ghul et constitue un exercice délicat dont le scénariste s'acquitte avec habileté. En effet, les responsables éditoriaux de DC devaient boucler une histoire bancale tricotée par les scénaristes des différentes séries Batman pour ressuciter ce vieil ennemi du héros. Le résultat n'est pas renversant mais a le mérite de ne pas traîner et la chute ne manque pas de malice.

Libéré de ce poids mort, Paul Dini peut alors développer son univers et il ramène alors des ennemis classiques mais sans en faire des criminels sanguinaires : au contraire, il règne un climat de folie douce, subtilement décalé, mélangeant la psychologie et l'action selon un savant dosage. C'est ainsi que le Châpelier Fou réapparaît dans une version inédite de ses lubies concernant l'oeuvre de Lewis Caroll : le titre de l'épisode est d'ailleurs éloquent (The wonderful gang).

- Puis c'est au tour d'une nouvelle incarnation de Scarface et, donc, d'une nouvelle marionnettiste, Peyton Riley, d'entrer en scène pour une histoire de vengeance et de magie - puisque Zatanna assiste Batman dans cette intrigue.

- Enfin, le Riddler interfère dans une enquête de l'homme chauve-souris (avec une brêve apparition de Catwoman - "Meow") : l'ex-vilain utilise les médias pour résoudre une série de crimes sordides sans se douter que le meurtrier lui tend un piège. Des visages familiers, comme Oracle/Barbara Gordon, le commissaire Jim Gordon, Oswald Chesterfield Cobblepot (le Pingouin), Chimp participent aussi fugacement à l'aventure.
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Subtilement, Paul Dini réussit à singulariser chacun de ces acteurs en les écrivant avec humour mais sans ironie : l'auteur respecte cet univers, son atmosphère, mais avec la distance adéquate pour le rendre savoureux.
Son choix de rédiger des histoires courtes, délibérement à contre-courant de la tendance actuelle, permet de donner beaucoup de rythme à l'ensemble, sans égarer le lecteur avec des références au reste du Batverse, ce qui est extrèmement agréable.
Des séquences sont jubilatoires comme le flirt entre Zatanna et Bruce Wayne (qui n'occulte pas les évènements d'Identity Crisis, où la magicienne a lavé le cerveau de Batman), ou la jalousie de Catwoman envers Zatanna (et plus généralement toutes les conquêtes de Batman), ou encore la manière dont le héros résoud l'affaire impliquant le Riddler avec un forum sur Internet appelé "les héritiers de Dupin" (une référence à la première histoire policière écrite par Edgar Allan Poe). Avec une aisance étonnante, Dini peut même faire intervenir le detective Chimp (du groupe Shadowpact) sans que cela soit grotesque.
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Si ce recueil n'est pas parfait, à cause de circonstances extérieures à la contribution de Dini sur le titre, il propose du matériel de grande qualité, visuellement surprenant et narrativement différent de ce que fournit ce genre de production. L'essayer, c'est l'adopter !

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