dimanche 20 décembre 2009

Critique 120 : DAREDEVIL par ED BRUBAKER et MICHAEL LARK (5/7)


DAREDEVIL : CRUEL AND UNUSUAL ;
(vol.2, #106-110) ;
(Mai-Août 2008).

Examinons donc ce que nous réserve ce tpb contenant les épisodes 106 à 110 de Daredevil et formant l'arc intitulé Cruel and Unusual.

Première bonne nouvelle : cette histoire est signée par l'équipe acclamée par la critique depuis Gotham Central et composée d'Ed Brubaker, Greg Rucka et Michael Lark. Paul Azaceta a dessiné (et encré - ce qui est notable quand on se souvient comment Tom Palmer était complètement repassé sur les crayonnés de l'artiste dans l'histoire précédente...) le premier épisode de l'album.

Seconde bonne nouvelle : le trio a tricoté une intrigue qui replace Matt Murdock dans son rôle d'avocat au premier plan. Réduire ses apparitions comme Daredevil est judicieux après le traumatisme qu'il vient de vivre (Milla Donovan étant internée dans une clinique psychiatrique à cause de Mr Fear), tout en préparant un rapprochement entre le héros et la détective Dakota North, qui est mise en avant - c'est d'ailleurs pour traiter plus particulièrement d'elle que Rucka, toujours inspiré par les femmes fortes, a été convié à participer au scénario.
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L'histoire suit donc Matt et Dakota qui vont s'occuper d'un dossier délicat, celui du nommé "Big" Ben Donovan condamné à mort pour le meurtre de trois enfants. Problèmes : il a avoué le triple homicide et le F.B.I. semble déterminé à ce qu'il soit exécuté. Les investigations de Murdock et North vont révèler un complot entre l'agence fédérale et la pègre contrôlant les docks de New York.

La complicité entre Brubaker et Rucka fait merveille, leurs dialogues claquent, la caractérisation des personnages est exemplaire, les relations entre les protagonistes possèdent un relief et une subtilité rares, et ils savent comment construire une intrigue solide et prenante.

C'est vraiment un boulot de grands professionnels, aguerris : en apparence, cette histoire semble plus modeste que celles auxquelles Brubaker seul nous a habitués depuis le début de son run, mais cela fait quand même du bien après les moments de tension relatés dans l'incarcération puis la fuite de Murdock ou son duel contre Mr Fear. Et mine de rien, on est accroché par ce récit qui dévoile ses mystères progressivement, en dosant ses effets.

Tous les comics super-héroïques n'ont pas cette finesse et tous les auteurs n'ont pas cette souplesse pour articuler ce qu'ils proposent aux lecteurs.

Le plus frappant dans cet arc, mais c'est déjà notable dans les épisodes de Brubaker depuis son arrivée sur Daredevil, est la manière dont il réussit à donner une place de premier rang aux seconds rôles gravitant autour de son héros (parfois en leur ayant consacré un épisode particulier, comme Foggy Nelson, Milla Donovan, et ici Ben Urich et Dakota North). Il leur donne de la chair et de vraies et distinctes personnalités en nous montrant comment ils travaillent tous ensemble, comment fonctionne le cabinet juridique Murdock and Nelson. Ce souci pour le groupe rend tout ce monde plus réel et plus attachant.

Michael Lark, toujours secondé par Stefano Gaudiano (qui, davantage qu'un simple encreur, est de l'aveu même du dessinateur un vrai finisseur-embellisseur), accomplit encore une fois un excellent travail ici.

Une des raisons pour lesquelles j'aime Lark réside dans le fait que son dessin participe au réalisme des livres - ses personnages ressemblent à de vraies personnes, ce n'est pas juste un de ces artistes à l'aise avec des héros en spandex. Même Dakota North, un ancien mannequin, n'est pas juste représentée comme une très belle femme : on devine aussi son caractère dans les attitudes et les expressions que restitue parfaitement Lark.

Et bien entendu, comme toujours (et c'est particulièrement important sur une série telle que Daredevil), les scènes d'action chorégraphiées sont magnifiquement illustrées, avec un découpage extraordinaire de rythme et de fluidité.

Un exemple de ce brio graphique se situe dans le dernier épisode de cet arc où sont représentées en narration parallèle une séquence de combat entre DD et des agents fédéraux sur les docks et une autre montrant des secouristes tentant de sauver la vie de quelqu'un (je ne vous dis pas qui pour vous laisser la surprise).

On suit chacune de ces scènes très aisément et, mieux même, leur montage alterné procure suspense et excitation. Ces pages nous montrent comment une équipe créative rodée et intelligente peut tirer le maximum de deux actions et produire un comic-book de qualité simplement en exploitant au mieux les codes du genre.

Le seul bémol qu'on émettra concerne le dénouement, un peu abrupt. Après l'excellent développement de l'intrigue - le secret de "Big" Ben Donovan, l'opération impliquant les agents fédéraux - , Brubaker et Rucka clôturent leur affaire à la va-vite, sans convaincre : on était en droit d'attendre un vrai "grand final" compte tenu des forces en présence, mais le feu d'artifices n'a pas lieu et finit un peu en feu de paille. Dommage.

Ce n'est pas suffisant pour gâcher le plaisir pris jusqu'alors, mais décevant au regard du talent des deux scénaristes. Greg Rucka a depuis exprimé son sentiment sur cette expérience en déclarant que le personnage de DD ne l'avait finalement guère passionné : peut-être est-ce en partie pour cela qu'on n'est pas comblé comme attendu...

Mais cette réserve exceptée, ce nouveau tome demeure quand même une lecture recommandable et recommandée, ne serait-ce que pour mieux apprécier l'évolution des rapports que va connaître certains des personnages avant la saga ultime concoctée par Ed Brubaker.

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