mardi 27 octobre 2009

Critique 108 : AVENGERS FOREVER, de Kurt Busiek, Roger Stern et Carlos Pacheco


Avengers Forever est une maxi-série en douze épisodes, publiée de Décembre 1998 à Novembre 1999 par Marvel Comics. Le scénario est écrit par Kurt Busiek (pour l'intrigue et son traitement) et Roger Stern (pour le script). Les dessins sont signés par Carlos Pacheco.
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Le tout-puissant Immortus envoie son laquais, Tempus, tuer Rick Jones. Le jeune homme est gravement malade et transporté par les Vengeurs dans la zone bleue de la Lune pour que l'Intelligence Suprême des Krees essaie de le guérir.
Pourquoi Immortus veut-il supprimer Jones ? Parce qu'il est le détenteur de la "Force du Destin", une capacité grâce à laquelle il a mis fin à la guerre Kree-Skrull, et qui peut le conduire à terme à faire de la race humaine la force dominante de l'univers, avec les Vengeurs comme armée.
Rick, seul avec l'Intelligence Suprême, est sauvé mais Libra, le gardien de la Balance (une force qui veille sur le cours des choses et l'équilibre temporel), le pousse à utiliser à nouveau la "Destiny Force" pour contrecarrer les plans d'Immortus.
C'est ainsi que Rick réunit une nouvelle équipe de Vengeurs, dont les membres sont issus de diverses époques (passé, présent et futur). On y trouve Captain America, désabusé après qu'il ait découvert qu'un officiel du gouvernement était le leader de l'Empire Secret ; Pourpoint-Jaune mentalement perturbé au point d'ignorer qu'il est Hank Pym ; Oeil-de faucon juste après le dénouement de la guerre Kree-Skrull War et devenu membre d'un cirque dirigé par Hercule ; Giant-Man (alias Henry Pym) et la Guêpe du présent ; et enfin l'ex-criminelle Songbird et le Captain Marvel d'un futur alternatif.
Ces Vengeurs affrontent Immortus au coeur de diffèrentes époques.
Trois d'entre eux (Yellowjacket, Hawkeye, Songbird) sont expédiés dans l'Ouest Américain du XIXème siècle où ils croisent des héros de western comme the Two-Gun Kid, the Night Rider, the Ringo Kid, the Rawhide Kid, Kid Colt et les Gunhawks.
Captain America et Giant-Man partent dans le futur où la Terre a été dévastée par une invasion martienne et où résistent une poignée d'humains entraînés par quelques rares Vengeurs survivants, parmi lesquels la Panthère Noire, Jocaste, Thoundra, Killraven ou... La Dynamo Pourpre !
La Guêpe et Marvel sont envoyés dans une version alternative des années 50 où ils rencontrent un groupe de héros déjà baptisés les Vengeurs, incluant Marvel Boy, Venus, 3-D Man, Gorilla-Man, Human Robot et Jimmy Woo (soit les Agents d'Atlas), mais cette réalité est détruite par l'intervention d'Immortus en possession du Crystal de l'Eternité, un artefact qui peut affecter les univers parallèles.
Les Vengeurs découvrent qu'Immortus est en fait aux ordres des Gardiens du Temps, un trio d'individus venant de la fin des temps qui l'a chargé de procéder à de subtiles modifications dans l'Histoire de la Terre poour que Rick Jones et les Vengeurs ne deviennent les maîtres de l'univers. Si cela se produisait, ce serait au prix de plusieurs cultures extra-terrestres (dont celle des Gardiens du Temps) : c'est pour cela que la vie de Jones est menacée.
L'autre élément qu'ils leur faut contrôler est Kang le Conquérant, qui est en fait destiné à devenir Immortus. Cet ennemi de longue date des Vengeurs va devenir leur allié pour empêcher le plan des Gardiens du Temps de s'accomplir.
Kang tuera les Gardiens du Temps lors de leur affrontement final après qu'il ait tenté d'éliminer Immortus, qui n'a pu se débarrasser de Rick Jones. Captain Marvel fusionne avec Rick pour lui sauver la vie, avant que Libra ne renvoie à leurs époques respectives les sept Vengeurs, chacun ne conservant qu'un vague souvenir de cette aventure.
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Avengers Forever a connu une étrange genèse puisque cette série devait initialement être un crossover intitulé Avengers: World in Chains, comme cela est révèlé par Kurt Busiek dans l'introduction du recueil. Busiek et Carlos Pacheco voulaient en effet collaborer sur un projet commun, et le scénariste conçut une première histoire. Avengers: World in Chains fut annoncé comme une nouvelle production en 12 chapitres, si bien que lorsque parut Avengers Forever, avec la même équipe artistique, le même nombre d'épisodes, tous les lecteurs présumèrent qu'il s'agissait de la même histoire avec un titre différent. Mais ce n'était pas le cas et Avengers: World in Chains reste en fait un récit inédit, encore aujourd'hui (et probablement pour toujours).
L'idée originale était fort simple : que se serait-il passé si Captain America n'avait jamais été redécouvert dans son bloc de glace et réanimé ? Ce point de départ aurait fourni la base à une trame se déroulant dans une réalité divergente. Planifiée pour 1999, Avengers : World in Chains n'a donc jamais vu le jour car une autre série Marvel, Mutant X, fut imaginée par Howard Mackie, exploitant une idée similaire mais utilisant les X-Men comme héros. Mutant X racontait l'histoire d'Alex Summers (alias Havok) captif d'une ligne temporelle parallèle avec d'autres X-Men (revus et corrigés comme une version vampire de Storm...). World in Chains fut considéré par l'éditeur comme trop semblable à Mutant X pour être publié au même moment.
Développant différemment leur arche narrative, Busiek et Pacheco proposèrent alors ce qui devint Avengers Forever, qui traite donc de l'histoire d'une formation inédite des Vengeurs, dont chaque membre provient d'une époque particulière, réunis pour s'interposer dans un conflit opposant Kang et Immortus.
Comme il le précise également dans la préface du recueil, Busiek n'a pas écrit seul Avengers Forever : il a imaginé l'arc narratif mais c'est à Roger Stern, un de ses illustres collègues, qu'est revenu la tâche délicate d'en tirer un script et d'en rédiger les dialogues (supervisés par le créateur d'Astro City).
L'intrigue est à la fois tortueuse, délirante, foisonnante, épique, et palpitante : les deux auteurs se sont visiblement amusés à visiter le Marvelverse, allant jusqu'à situer une partie de l'action dans les bandes dessinées western de l'éditeur ou en passant par les fifties, donc avant que Stan Lee, Jack Kirby ou Steve Ditko ne révolutionnent les comics avec les Fantastic Four, Spider-Man ou... Les Vengeurs !
Tout cela est à la fois amusant... Et, avouons-le, épuisant. Il y a dans ces douze épisodes plus de matière traitée que dans toute une ongoing-serie actuelle. C'est vertigineux, et pas seulement parce qu'on est bringueballer dans tous les sens, d'une époque à l'autre, d'un bout du cosmos à l'autre. La profusion de situations, de décors, de personnages, de péripéties donne le tournis : c'est aussi jubilatoire que désarmant. Avengers Forever est une BD à savourer pour bien en apprécier toutes les richesses : c'est un pur récit d'aventures, un manège qui ne s'arrête jamais et file à toute allure, brassant une somme astronomique d'évènements qui révèle la mythologie marvelienne. C'est un mille-feuilles qui procure un plaisir intense, mais qui nécessite un certain temps pour être digéré.
Malgré cette réserve, le sentiment qui se dégage de cette lecture reste quand même extrèmement positif, ne serait-ce que pour le génie avec lequel chaque personnage est caractérisé, l'histoire (pas seulement l'intrigue principale mais cette inspection savante de la mythologie marvelienne - tous les deux chapitres, on trouve d'abondantes notes qui viennent préciser l'origine de telle scène, procédé déjà utilisé par Busiek sur Marvels) et ses reboondissements sont exploités.
L'entreprise a quelque chose de fou mais aussi de jouissif et de communicatif : on a envie de se replonger dans toute la production Marvel pour en apprécier toute la subtilité et l'ampleur. C'est un comic-book fait par des fans et pour des fans.
Lorsque le récit se suspend, on reste saisi : les scénaristes accordent en effet un magnifique volet consacré exclusivement à Kang, son destin, ses mobiles, son évolution, qui légitiment son choix de s'allier aux Vengeurs contre son double futuriste, Immortus, et les Time-Keepers : le personnage acquiert alors une épaisseur, une dimension comme peu de vilains en bénéficient dans les comics traditionnels.
Il faut encore saluer le brio des dialogues, chaque protagoniste s'exprimant dans un vocabulaire qui lui est approprié : Captain America sans illusions qui se reprend progressivement, Yellowjacket à la fois horripilant et savoreux en obsédé sexuel narcissique, Hawkeye combatif, Marvel dubitatif, Songbird entre le repentir et la détermination, la Guêpe (si souvent mal servie) dôtée d'une poigne de fer, Giant-Man sage et résolu...
La qualité d'écriture de la série est en tous points remarquable de finesse et d'efficacité, d'une prodigieuse densité.
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On ne saurait tresser une couronne de lauriers à cette oeuvre sans s'incliner enfin devant son impressionnant graphisme, dû à un des meilleurs tandems contemporains : les espagnols Carlos Pacheco (aux dessins) et Jesus Merino (à l'encrage) fournissent des planches effarantes, d'une richesse qui mérite qu'on s'y attarde de longues minutes.
Le soin apporté à la gestuelle, aux expressions, aux décors, au découpage participe également à la réussite d'Avengers Forever : on est souvent époustouflé par ce qu'ils nous donnent à voir, les deux artistes atteignent une sorte d'apogée visuelle qui laisse sans voix.
Franchement, il n'y a pas grand'chose de mieux que de lire une BD où les talents sont aussi bien employés, où chaque membre de l'équipe créative ne met aussi bien en valeur les efforts de l'autre. Et quand deux cadors comme Pacheco et Merino produisent des pages comme celles-ci, sans la moindre baisse de régime sur douze épisodes, les scénaristes ne peuvent que mesurer leur chance d'avoir des partenaires pareils !
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Il y a quelque chose de roboratif dans cette série. Quelque chose aussi du domaine de l'accomplissement : on ouvre le livre avec l'espoir de découvrir un objet mémorable et on en achève la lecture, repu, comblé. Peu d'ouvrages finalement obtiennent cette alchimie, ce miraculeux concentré où rien n'est perdu entre l'ambition du départ et le résultat final. Ce n'est donc sans doute pas un hasard si, pour beaucoup, cette histoire est considérée comme la meilleure jamais écrite pour la longue série des Vengeurs...

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