lundi 14 septembre 2009

Critique 101 : SECRET INVASION, de Brian Michael Bendis et Leinil Yu

Secret Invasion est le crossover de l'année 2009, publié par Marvel Comics d'Avril à Décembre 2008 : cette mini-série compte huit volets mais les évènements qu'elle décrit influencent de nombreux autres titres (en premier lieu, les Nouveaux et Puissants Vengeurs).
L'histoire décrit l'invasion de la Terre, préparée de longue date, par les extra-terrestres Skrulls. Ces aliens ont la faculté de changer d'apparence et ainsi, ils ont pris la place de nombreux héros Marvel depuis plusieurs années.
Le slogan de Marvel pour cette production tenait dans une question : "Who do you trust?"(à qui pouvez-vous faire confiance ?). Brian Michael Bendis, l'auteur du scénario, a expliqué en interview que la motivation de ceette invasion provenait de la destruction de l'empire Skrull au cours de la saga Annihilation (publiée de Novembre 2005 à Mai 2007). Les Skrulls croient que la Terre leur revient depuis la fin de leur monde.
Bendis a également annoncé que le complot des Skrulls était développé en réalité depuis le premier numéro des New Avengers (Janvier 2005) et même avant cela, au cours de la mini-série Secret War (Février 2004 - Décembre 2005) : Secret Invasion serait donc l'achèvement d'une intrigue au long cours.
Dans les autres séries qu'il écrit, comme celles des Vengeurs (Nouveaux et Puissants), Bendis s'est appliqué non pas à traiter les origines de l'invasion, mais plutôt à révèler quels sont les personnages qui ont été remplacés par les envahisseurs, depuis quand ils ont infiltrés les rangs du Marvelverse, comment ils ont abusé tout le monde et quelles sont les conséquences de leurs actions.
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Après la guerre Kree-Skrull, quelques super-héros terriens - Iron Man, Mr Fantastic, Namor, Flêche Noire, le Pr Charles Xavier et le Dr Strange - ont formé un groupe secret baptisé les Illuminati pour raisonner les Skrulls. Ils attaquent l'Empire et mettent en garde son autorité contre de futures tentatives d'invasion de la Terre. Mais ils sont capturés et attentivement étudiés avant qu'ils ne puissent s'échapper.
Prétendante au trône Skrull, la Princesse Veranke
déclare qu'une ancienne prophétie décrit la destruction de leur planète. L'Empereur Dorrek décide de l'exiler sur un monde-prison. Mais après que Galactus ait dévasté la planète Skrull, Veranke devient la nouvelle Impératrice et entreprend d'envahir la Terre, grâce aux connaissances volées aux Illuminati.
Les Skrulls capturent plusieurs surhumains et commencent à infiltrer les rangs des humains, avec Vernake elle-même prenant la place de la justicière Spider-Woman. Veranke va ainsi assister à la naissance des Nouveaux Vengeurs après avoir provoqué l'évasion massive des super-vilains de la prison du Raft, mais elle intégre ensuite l'équipe des héros lancée aux trousses des fugitifs.
Les Skrulls enlèvent aussi d'autres personnages appartenant à des milieux divers pour assurer leurs plans : ainsi Elektra, la patronne de l'organisation criminelle ninja, la Main,
- mais c'est en l'affrontant que le Nouveaux Vengeurs découvrent qu'elle a été remplacée par un Skrull. L'équipe comprend alors que les extra-terrestres sont partout, comme elle le soupçonnait depuis qu'elle avait mis à jour un trafic de vibranium en Terre Sauvage par des agents du SHIELD. Les Illuminati apprennent aussi qu'un imposteur est parmi eux en la personne de Black Bolt lorsque deux Super-Skrulls, possédant de nouveaux super-pouvoirs, les ont attaqués.
L'invasion Skrull déstabilise la communauté super-humaine lorsque les aliens prennent d'assaut simultanèment plusieurs places fortes comme un héliporteur du S.H.I.E.L.D. ; la base orbitale du Peak ; le Baxter building
- où l'accès à la Zone Négative a été ouvert - et le Q.G des Thunderbolts.
Les deux équipes des Vengeurs se rendent en Terre Sauvage où s'est crashé un vaisseau spatial d'où sortent plusieurs réplicants de héros, parfois portés disparus (comme Mockingbird ou Captain America) ; tandis que Reed Richards, qui examinait le cadavre du Skrull Elektra, est neutralisé par un autre envahisseur ayant les traits de Hank Pym.
Après plusieurs batailles entre les héros de la Terre et les Skrulls à Manhattan et en Terre Sauvage, Mr. Fantastic, revenu à lui, conçoit un appareil permettant de détecter les envahisseurs quel que soit leur aspect actuel.
Le nouveau caïd du crime, the Hood, choisit de prêter main forte aux héros, refusant de laisser lees extra-terrestres dominer le monde à sa place. Veranke regroupe ses troupes à New York où éclate la lutte finale contre les Vengeurs ; les Secret Warriors menés par Nick Fury ; Thor, les Jeunes Vengeurs et les Thunderbolts.
Durant cet affrontement dévastateur, la reine Veranke est blessée par Hawkeye
. Constatant que les siens sont en difficulté, un Skrull active une sorte de bombe sale injectée à la Guêpe. Thor est obligé de tuer l'héroïne pour annuler les effets de cette arme. Veranke est alors abattue par Norman Osborn.
Ce qui reste de l'armada Skrull est démantelée et Iron Man localise les héros kidnappés dans un des vaisseaux aliens.
Le S.H.I.E.L.D. est dissous sur ordre du Président des Etats-Unis, mais le Skrull ayant pris la place du majordome des Vengeurs, Jarvis, réussit à pendre la fuite avec le fils de Luke Cage et Jessica Jones.
Norman Osborn est nommé à la tête de l'organisation remplaçant le S.H.I.E.L.D, baptisé le H.A.M.M.E.R - et forme un nouveau groupuscule secret formé d'Emma Frost, Namor, Dr Fatalis, The Hood et Loki, équivalent des Illuminati et annonçant le début du "Dark Reign".
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Maintenant que cette saga est arrivée à son terme et qu'une nouvelle ère s'ouvre pour l'univers Marvel, il est possible d'analyser avec plus de détachement cette production.
Deux options sont possibles : soit on considère qu'il s'agit, comme l'a prétendu Bendis, de l'aboutissement d'une histoire mise en place depuis longtemps ; soit on juge ce récit comme un énième crossover aux solutions providentielles.
Il est impossible de déterminer avec certitude si le scénariste a vraiment élaboré cette intrigue et son dénouement depuis aussi longtemps qu'il l'a déclaré. Personnellement, j'ai toujours douté de la véracité de ce "grand plan", même si Bendis est devenu un des (sinon LE) grands architectes de l'univers Marvel : en effet, rien ne garantissait qu'il puisse mener à bien son objectif, dépendant principalement du succès des Nouveaux Vengeurs, la rampe de lancement de toute cette affaire.
Mais il faut quand même reconnaître que, malgré sa roublardise évidente, Bendis a conçu avec Secret Invasion à la fois une suite à la saga Kree-Skrull War et le moyen d'expliquer quelques faits étranges ayant secoué l'univers Marvel depuis quelques années.
En outre, cela a permis de réhabiliter (ou de bousculer) certains personnages, voire d'en ressuciter certains : je pense en particulier à Spider-Woman, Iron Man ou Mockingbird. La première qui a été un agent triple était en fait la reine Skrull ; le deuxième qui a précipité dans le chaos la communauté super-héroïque en déclenchant la Civil War est désormais en disgrâce, et la troisième resurgit après une longue éclipse. La situation de ces trois personnages symbolise parfaitement l'objectif de Secret Invasion visant à instituer un nouveau statu quo, encore plus sombre, dérangeant et incertain que celui ayant succèdé à la "Guerre Civile" : désormais, les méchants sont vraiment aux commandes et les fractures provoquées par Civil War vont certainement être corrigées durant le futur Dark Reign - sans oublier qu'entretemps, un personnage comme the Hood a considérablement fait évoluer la carte du monde criminel en fédérant autour de lui les super-vilains.
La composition de ce qu'on appellera les "Dark Illuminati" suggère des développements surprenants : par exemple, comment faut-il considérer la présence de deux de ses membres comme Namor (qui fit partie des premiers Illuminati, au sein desquels sa position suscita bien des conflits) ou Emma Frost (une ex-vilaine qui semblait repentie parmi les X-Men) ? On sait aussi, en ayant lu la série Thor par J. Michael Straczynski, que Fatalis s'est allié avec Loki, mais que peut-on espérer de ce duo de malfaiteurs, sachant que Fatalis est un conquérant mégalomane et Loki le dieu du mensonge. Autrement dit, qui pilote vraiment cette congrégation de criminels ? La puissance du demi-frère de Thor en fait logiquement un deus ex machina : s'achemine-t-on vers une vaste machination de Loki ? Et quid de the Hood, lui aussi animé d'une ambition dévorante, et lié magiquement avec le tout aussi puissant Dormammu ?
Sans doute est-ce là la vraie réussite de Secret Invasion : comme mini-série, elle s'avère inégale, démarrant sur les chapeaux de roues, s'essouflant à mi-parcours et s'achevant de façon expéditive dans une bataille dantesque ; en revanche elle amène une nouvelle distribution des cartes au potentiel considérable.
Que va-t-il advenir des Vengeurs par exemple ? Les Puissants Vengeurs, tels qu'assemblés par Iron Man, sont condamnés. Norman Osborn va créer son propre commando. Les Nouveaux Vengeurs ne semblent pas prêts de quitter leur clandestinité et des personnages liés au nom même de ce groupe pourrait logiquement les rejoindre, ponctuellement ou durablement - le nouveau Captain America, Mockingbird, voire Thor. Iron Man lui-même va inévitablement devoir répondre de ses actes après avoir échoué à mater les rebelles d "registration act" mais aussi à éviter l'invasion Skrull - comment va s'en sortir le justicier en armure rejeté par le gouvernement, l'opinion publique et ses amis de toujours (Captain America et Thor) ?
Bendis s'affirme en tout cas comme un scénariste de l'échec : comme dans la série New Avengers où les héros ne comptent que peu de succès, Secret Invasion se clôt sur la défaite des "gentils". Ni les Nouveaux, ni les Puissants Vengeurs n'avaient anticipé l'invasion : résultat, c'est un détraqué notoire comme Osborn père qui hérite des commandes de la sécurité du monde.
Il faut au moins une victime importante pour mesurer l'impact d'une telle histoire : après l'hécatombe de mutants d'House of M, l'assassinat de Steve Rogers au terme de Civil War, c'est la Guêpe qui est sacrifiée - certes, cette héroïne a souvent été mal exploitée mais retenons qu'elle fut l'un des membres fondateurs des Vengeurs il y a plus de 40 ans.
Après avoir estampillé ses productions du sceau de "L'Initiative" au terme de Civil War, Bendis a jeté l'univers Marvel dans le "Dark Reign". Qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse ? En tout cas, même en ayant orchestré, de manière plus ou moins inspiré, les évènements, le scénariste a réussi à imposer un nouvel état de fait à tout le Marvelverse. L'avenir nous dira si cela donne de bonnes histoires, si cela valait le coup, mais l'Histoire retiendra que c'est par Bendis que Marvel sera entré dans cette ère.
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Visuellement, le travail abattu par Leinil Yu a divisé le lectorat : encré par Mark Moralès, l'artiste rend, il est vrai, une copie contrastée, à l'image du script lui-même.
S'il excelle dans l'exercice si abondant aujourd'hui des double-pages où une multitude de personnages s'étripent, le dessinateur n'a pas la minutie d'un Steve McNiven (sur Civil War) ni le dynamisme d'un Olivier Coipel (sur House of M) ni l'esthétisme baroque d'un Gabrielle dell'Otto (sur Secret war). Parfois son découpage est brouillon ou sommaire : à sa décharge il n'est pas toujours aidé par un récit multipliant les points de vue (inégalement exploités) et animant une quantité cauchemardesque de protagonistes. Sans doute qu'un George Pérez, passé maître dans l'art d'illustrer ce genre de foire épique, aurait mieux convenu...
Mais il faut cependant créditer Yu d'avoir livré ses épisodes sans retard, ce qui mérite le respect vu l'ampleur du récit et du casting, et son trait a gagné en élégance et en clarté grâce à l'encrage de Moralès.
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Secret Invasion, en somme, comme souvent avec les productions de ce genre, n'échappe pas à certaines maladresses : c'est un crossover qui a les défauts de ses qualités, son intérêt est presque plus d'aboutir à un nouveau statu quo prometteur que d'être une mini-série passionnante et réussie. Mais Bendis est au moins parvenu à changer profondèment la donne : à mon sens, ça valait le coup.

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