samedi 22 août 2009

Critique 98 : NEXUS 1, de Mike Baron et Steve Rude



Nexus est une série apparue au début des années 80 chez Capital Comics, créé par le scénariste Mike Baron et Steve Rude. Ouvertement conçu comme un hommage aux classiques de la SF d'Alex Raymond (Flash Gordon) ou Russ Manning (Magnus robot fighter), ce comic-book a aujourd'hui atteint la centaine de numéros - même si Rude est actuellement en dificulté financière, s'acharnant dans l'auto-édition.
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Le concept est simple :

Nexus est un vengeur masqué galactique dont la mission consite à traquer des criminels de guerre ayant échappé à leur châtiment. Mais à force de sillonner l'univers et de délivrer des mondes de leurs tyrans, il a aussi été obligé d'héberger une foule de réfugiés sur la lune d'Ylum où se trouve sa base. Et cette population est évidemment devenue un endroit bouillonnant au niveau politique - au point même qu'elle accueille les Jeux Olympiques !

Après ses débuts chez Capital, la série est publiée par First Comics. Rude cède alors parfois la place à d'autres artistes de renom pour dessiner son héros : Keith Giffen, Mike Mignola, José-Luis Garcia Lopez, Paul Smith...
La débâcle de First Comics interrompt la diffusion de la série jusqu'à ce que Dark Horse l'édite - les deux histoires de ce volume sont issues de cette période, traduite chez Semic - mais les ventes ne suivent plus. Aujourd'hui, Steve Rude se consacre surtout à la réalisation de "commissions", dans lesquelles il rend hommage à ses propres personnages, mais aussi à d'autres icônes de chez Marvel ou DC, en imitant parfois (mais à la perfection) le style de ses maîtres (Jack Kirby, Alex Toth...).
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- Le premier récit de cet ouvrage s'intitule sobrement Nexus, les Origines, et permet donc de se familiariser avec son héros. C'est aussi l'histoire la plus réussie des deux contenues dans ce livre.

Horatio Hellpop reçoit d'immenses pouvoirs - à la mesure d'une immense charge - d'une entité extra-terrestre appelée le Merk. En échange, sous le masque et le nom de Nexus, il devra pourchasser et éliminer des criminels disséminés dans la galaxie. Lorsque le Merk désigne une cible, Nexus est pris de violentes migraines et identifie sa proie grâce à des rêves.
Horatio est donc l'instrument du Merk, mais il remplit ses missions avec zèle. Mais pourquoi accepte-t-il si docilement ce travail de bourreau ?
La réponse se trouve dans son passé, ou plutôt dans celui de son père, Theodore, qui fut un général communiste administrant la planète Vradic. La menace d'une insurrection religieuse menée par son beau-frère l'obligea, suivant les ordres du régime Sov, à fuir ce monde avec sa femme, Marlis, enceinte, après en avoir causé la destruction totale.
Dévasté par cette décision (qui coûta la vie à plus de dix millions d'individus), le Général Hellpop s'engouffra avec sa femme à bord d'une capsule spatiale dans un trou noir. Mais cela allait les conduire tout près de Ylum, où Horiato naquit.
A mesure qu'Horatio grandit, l'influence du Merk grandit sur lui, au point qu'il s'inventa deux amis imaginaires, Alpha et Beta. Cependant, à la mort de sa mère, qui s'égara dans les tnnels de la planète, Horatio le leur reprocha et les tua, découvrant par là même ses pouvoirs. Peu après, Horatio commença à rêver des crimes de son père et, alors que celui-ci allait se suicider, le supprima à son tour.
Seul les deux années suivantes, Horatio finit par découvrir le costume et la fonction de Nexus qu'il allait incarner. Progressivement, Ylum devient le refuge des peuples oppressés qu'il a libérés. Tout va "bien" jusqu'à ce que débarque une séduisante journaliste, Sundra Peale, curieuse d'en savoir plus sur le justicier de l'espace...
- Dans le second récit, en deux parties, intitulé Le Chant du Bourreau, alors que les Jeux Olympiques se préparent sur Ylum, Nexus doit s'absenter pour capturer Michana, autrefois détentrice des mêmes pouvoirs que lui, et qui, avec son gang martien, a profané la tombe de ses parents ; puis démasque un haut gradé Sov ayant pris la place d'un candidat pour la compétition sportive.
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Cette relecture, à la fois politisée et pleine d'entrain, de la SF d'antan possède un charme décalé à la mesure de son héros : on peut rapprocher cette entreprise de celle entamée par Alan Moore et Chris Sprouse avec Tom Strong (qui revisitait le mythe du "héros de la science" en rendant hommage à Doc Savage) ou même à Planetary de Warren Ellis et John Cassaday - même si les références y sont plus légères.
En vérité, Nexus est d'abord "dépaysant" car il évolue dans un registre différent de tout ce qu'on peut lire d'habitude en matière de super-héros : l'action se déroule dans l'espace, au milieu d'extra-terrestres divers et variés, avec un personnage central qui est moins un bon samaritain qu'un exécuteur et surtout une fonction (comme on le découvre avec Michana, il y a eu d'autres Nexus).
Pourtant, dans cette optique résolument "rétro", Baron et Rude ne font pas de leur série une oeuvre violente : Nexus agit rapidement, parfois spectaculairement, mais sans jamais faire verser le sang - ses pouvoirs surpuissants lui épargent ces effusions. Comme ses cibles sont toutes des méchants absolus, impardonnables, il est facile d'approuver ses sanctions.
La métaphore politique du récit ne s'encombre pas de trop de finesse : c'est une charge contre les dérives du régime soviétique, contre toutes les tyrannies, et aux exactions de ces régimes et de leurs dirigeants, la réponse est expéditive. La grossiéreté du trait donne une ambigüité au projet : Nexus n'est-il qu'un tueur froid ? Ou est-il taraudé par sa conscience parfois ? La question n'est pas résolue dans les épisodes de cet ouvrage : Horatio assure que son père s'est suicidé, dévoré par les remords, mais nous savons que ce n'est qu'à moitié vrai - le fils a tué le père avant que celui-ci ne mette fin à ses jours et cette exécution (quasi) originelle (quasi, seulement, puisqu'Horatio avait déjà supprimé Alpha et Beta) a déterminé toute la suite.
Le scénario vaut aussi pour son côté "soap" : les réfugiés qui entourent Nexus (et parfois sont devenus de véritables collaborateurs pour ses missions), l'arrivée de Sundra Peale (qui deviendra sa maîtresse), tout cela forme un arrière-plan consistant que Baron s'emploie à faire exister autant que son héros - ainsi quand Horatio part à la recherche de Michana et Hurtz, on continue de suivre ce qui se passe sur Ylum car c'est essentiel au dénouement de l'intrigue.
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Graphiquement, Steve Rude est déjà un artiste accompli lorsqu'il signe ces épisodes : son trait est élégant, son art du découpage virtuose - ses planches égalent en richesse et en finesse celles d'un JH Williams III avec un emploi des vignettes, de leur disposition, extraordinaire.
L'encrage de Gary Martin et les couleurs de Noelle Giddings et Paul Mounts ajoutent encore à la classe de la production : il y a toujours quelque chose de jubilatoire à découvrir une équipe créative comme celle-ci, qui, tout en respectant les codes du genre, les enrichit avec tant de distinction, d'intelligence et d'efficacité.
C'est à la fois beau et excellent : un régal.
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Le seul bémol de cette aventure reste qu'à ma connaissance la série n'a plus été traduite depuis, et que même en vo les recueils sont difficiles à trouver - et lorsqu'ils sont accessibles, ils sont coûteux. Dommage qu'un éditeur ne réussisse pas avec les auteurs à arranger une diffusion plus abordable de cette oeuvre atypique mais fabuleusement séduisante.

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