samedi 22 août 2009

Critique 95 : JLA - LEGENDES, de John Ostrander, Len Wein et John Byrne

JLA : Légendes (Legends, en vo) est une saga en 6 épisodes principaux, mais qui a aussi affecté, comme toujours dans ce genre de cas, plusieurs autres titres publiés par DC Comics en 1986-87. Ainsi, pour signifier leur lien, chaque volet de la saga et chaque épisode des tie-in portaient la mention "Legends". L'idée originale est de John Ostrander, adaptée en script par Len Wein, avec des dessins de John Byrne.
Pour bien comprendre les enjeux et donc l'importance de cette production, revenons sur l'histoire de sa publication. Les six épisodes de Légendes peuvent être lus comme une mini-série se suffisant à elle-même, mais en vérité, pour en apprécier toute l'ampleur, le récit comptait 22 chapitres incluant donc cette saga et plusieurs volets de séries parallèles comme Batman, Superman ou Secret Origins. Il s'agissait de relancer le DC Univers après le grand coup de balai passé durant le crossover précédent, la mythique maxi-série de Marv Wolfman, George Pérez et Jerry Ordway : Crisis on infinite earths. Les mondes parallèles et plusieurs personnages avaient disparu, d'autres avaient été re-positionnés selon cette nouvelle organisation, et d'autres encore allaient voir le jour à la faveur de ce nouveau statu quo : telle était l'ambition de Légendes, présenter le visage de la nouvelle JLA.
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L'intrigue de Légendes évoque le passage de la Bible consacré à Job :

le dieu du mal, Darkseid, discute avec le mystérieux Phantom Stranger de la possibilité de retourner l'opinion des simples mortels contre leurs héros. Pour se faire, Darkseid envoie sur Terre son agent Glorious Godfrey, où il manipule les masses grâce à sa voix lui permettant d'envoûter quiconque l'écoute. Ainsi, rapidement, il convainc le peuple que les héros sont des dangers publics, désirant régir le monde, et qu'il est temps que cela cesse.
Pour s'assurer la victoire, Darkseid sème la panique sur Terre grâce au géant de feu Brimstone, qui défait rapidement la Justice League à Detroit, malgré l'intervention de Firestorm et de Cosmic Boy.
Au même moment, pour stopper le cyborg dément Macro-man, Captain Marvel est obligé de le tuer, ce qui sert les desseins de Darkseid et confirme les discours de Godfrey sur la dangerosité des héros.
Batman doit aussi subir des pertes lorsque Robin (Jason Todd) est pris au piège dans une émeute et sévèrement blessé.
Craignant que la situation n'empire, le Président Ronald Reagan (au pouvoir à l'époque de la publication) proclame la loi martiale et prohibe les activités des super-héros en Amérique. En contrepartie, le départment de la défense active, sous l'autorité d'Amanda Waller, le "Projet: Task Force X", autrement dit la Suicide Squad, un commando formé de criminels, pour détruire Brimstone.
Face à cela, le Dr Fate
se voit obligé d'agir pour empêcher Glorious Godfrey et ses partisans d'envahir Washington et prendre le pouvoir des Etats-Unis. Fate rassemble Superman (jusque-là aux ordres de la Présidence), Batman, Captain Marvel, le Green Lantern Guy Gardner, Black Canary, Changelin, Flash, et Blue Beetle pour affronter Glorious Godfrey et ses troupes. Ils sont rejoints par le Martian Manhunter et Wonder Woman et combattent les cheins de guerre de Darkseid ainsi que Godfrey.
Finalement, les humains sont libérés de l'emprise de Godfrey, grâce à la foi intacte dans leurs héros des enfants, insensibles à son pouvoir. Conséquence directe : the Martian Manhunter, Batman, Blue Beetle, Guy Gardner, Black Canary, Captain Marvel et Dr. Fate décident de rester unis pour former la nouvelle Justice League. Superman et Flash préférent rester des membres réservistes tout comme Wonder Woman alors que Changeling réintégre les Teen Titans.
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(Presqu')un quart de siècle après sa parution, cette saga n'a pas aussi bien vieilli que l'épopée de Wolfman à laquelle elle succèdait. La première et plus évidente raison à cela est qu'elle est précisèment datée, comme en témoigne le rôle donné à Reagan, alors que si le Président des Etats-Unis avait été un personnage imaginaire, le problème ne se serait pas posé.
L'autre raison, c'est qu'il n'existe toujours pas une édition complète des 22 chapitres de l'histoire, comprenant tous les éléments suggérés par ce crossover, et donc le récit principal paraît incomplet, trop elliptique, avec des personnages qui apparaissent puis disparaissent subitement, d'autres qui surgissent très tard (pour s'éclipser brusquement, comme Wonder Woman), et un dénouement à la naïveté décevante par rapport au potentiel dramatique du sujet (la confiance des bambins ramène les adultes à la raison et permet aux héros de faire leur boulot et de regagner le crédit de la population).
Enfin, pompeux à souhait, le Phantom Stranger paraît savoir dès le départ l'issue du combat et observe Darkseid semant la zizanie en concluant presque : "je t'avais prévenu".
Bref, le bilan ne serait pas fameux s'il n'y avait pour mener la barque un équipage aussi brillant...
Le pitch d'Ostrander a les qualités de ses défauts : la simplicité de l'intrigue est divertissante et le développement que lui a donné Wein souligne cet aspect. C'est un comic-book bourré d'action, de scènes spectaculaires, de personnages iconiques, au symbolisme primitif, qui est devenu rafraîchissant aujourd'hui où la majorité des comics (chez Marvel surtout, mais DC n'est pas en reste) est d'une noirceur oppressante, gagnant en ambigüité ce qu'elle a peut-être perdu en spontanéité. Entretemps, il y a eu Watchmen, Dark Knight et bien d'autres BD qui ont profondèment et définitivement changé le média et notre regard sur lui.
Toutefois, le propos du livre est métaphorique et même s'il aurait pu être mieux exploité, il n'est pas sans intérêt. En choisissant de questionner la notion de foi - foi dans les héros, dans le Bien, dans l'imaginaire - , Ostrander s'attaque avec le personnage de Glorious Godfrey aux télévangélistes américains, qui constituent un vrai contre-pouvoir. Or, Godfrey est un adversaire singulier puisque la mission que lui assigne Darkseid est de renverser des idoles et d'inciter le peuple à prendre le pouvoir par la force.
Le récit balance donc entre l'espérance qu'incarnent les super-héros et le fanatisme dont Godfrey est le porte-voix : la vision que cela donne des Etats-Unis n'est pas si rassurante puisque le pays apparait comme celui d'individus incapables de se passer de champions, qu'ils soient d'authentiques défenseurs du Bien ou des pousse-au-crime manipulateurs.
En outre, avec Len Wein, la nouvelle JLA qui se met en place dans l'histoire compte des membres à la fois incontournables et inattendus : si la présence de bons samaritains comme Superman (par ailleurs décrit comme un fidèle soldat aux ordres du gouvernement), Batman ou le Martian Manhunter ne surprend pas, on trouve des personnnages bien plus savoureux à leurs côtés, comme Guy Gardner, le plus mal emboûché des Green Lantern, arrogant et peu soucieux de ce qu'on pense de lui ; Captain Marvel, qui est à la fois un être surpuissant avec l'esprit d'un enfant, le pendant en quelque sorte du "dark knight" ; Flash III, qui supporte mal de succèder au mythique Barry Allen et fait encore ses classes au sein des Teen Titans ; Dr Fate, qui va regrouper ces justiciers et revêt presque le rôle du chef.
C'est donc une équipe majoritairement composé d'hommes, de gros bras, même si ceux-ci sont parfois encore peu ou trop sûrs d'eux. Il est dommage que le personnage de Black Canary, en plus d'arriver tardivement, n'ait pas été plus creusé, et que Wonder Woman n'ait pu être mieux et plus exploitée. Mais cette formation de la JLA reste une des plus originales et le soin apporté à l'écriture de ses membres compense les faiblesses et ellipses de l'histoire.
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Ce qui "sauve" Légendes, c'est son dessinateur : John Byrne. Après avoir connu la gloire chez Marvel, il venait juste de signer chez DC pour y recréer Superman (la série Man of Steel). Et pourtant, il est déjà comme chez lui et s'empare de la JLA comme s'il était né pour en illustrer les aventures.
On retrouve donc ce trait identifiable entre mille, à la fois élégant, fluide, et percutant. Il découpe les scènes d'action avec un brio que seuls les cadors affichent : il s'est fait la main sur les X-Men puis Alpha Flight et enfin sur les FF pour un run anthologique. Il n'a rien plus à rien prouver mais Byrne démontre son exceptionnel savoir-faire.
L'encrage de Karl Kesel se marie bien aux dessins, par contre les couleurs tramées de l'époque gâchent un peu la vue.
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Ce livre fait office de document : éditorialement, il figure après un "event" mémorable, mais affectivement c'est une sorte de fêtiche qu'apprécieront de possèder les fans de Big John Byrne.

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