samedi 9 mai 2009

Critique 44 : LES CINQ CONTEURS DE BAGDAD, de Fabien Vehlmann et Frantz Duchazeau

 Le calife de Bagdad, amateur de bonnes histoires pour se distraire, organise une grande compétition de contes. Pas moins de mille et un conteurs devront présenter un récit devant le souverain et son public, ils disposent de trois années pour imaginer la meilleure des histoires en parfaisant leur technique narrative.
L’enjeu est à la mesure du tournoi : le gagnant aura gloire et richesse, le perdant subira le supplice du pal ! Comme il est bien connu que l’union fait la force, cinq personnages vont se rassembler pour se préparer à cette épreuve : Ahmed, le propre fils du Calife, propose à quatre conteurs de voyage autour du monde pour y écouter les plus incroyables histoires et en tirer un seul récit qu'ils écriront ensemble !
Le quintette se compose de :
-Nazim, un aimable colosse, maraîcher, qui passionne les foules sur les marchés ;
- Tarek, un séducteur, roublard mais talentueux ;
- Anouar, son vieux mentor, que la compétition ne passionne guère ;
- et enfin Wahid (ou plutôt Wahida, une jeune femme déguisée en homme), réputé pour ses récits originaux.
Avant leur départ, ils consultent une voyante qui résume le périple qui les attend. Elle prophétise que Nazim assassinera Anouar de treize coups de couteaux et que Wahida épousera Tarek…
Ces prédictions se confirmeront-elles ? En tous cas, les tribulations de nos héros resteront épiques et palpitantes, à la fois drôles, étranges, troublantes... Et leur issue réserve bien des surprises.
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Le scénario brillantissime de Vehlmann est une déclaration d'amour à l'art de raconter les histoires. Il surprend constamment le lecteur dans son déroulement d'une redoutable efficacité, ses dialogues ciselés, son rythme impeccable, et sa chute jubilatoire - jusque dans un ultime appendice, qui révèlent des épisodes cachés du voyage des cinq conteurs, en apparence anecdotiques ou décalés mais révélateurs.
Ce récit est riche en rebondissements et nous entraîne souvent là on ne s'y attend pas, s'amusant à déjouer (tout en les confirmant) les prédictions de la voyante. C'est jubilatoire de se faire ainsi balader !
D'excellentes idées sont intelligemment exploitées : le mélange de personnages très différents permet de traiter une vaste gamme d'ambiances, d'actions, d'émotions. Et une séquence comme celle de l’arbre aux oiseaux est un vraie merveille.
Surtout, l'histoire illustre parfaitement l'idée que le voyage compte finalement plus que la destination : on ne saura rien du contenu du conte qui séduira le plus le calife, mais qu'importe ! Le destin des cinq héros, leur odyssée est sûrement le récit le plus passionnnant.
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Le dessin du Duchazeau est en tout point à la hauteur de ce formidable scénario : des traits fins, des hachures, l’emploi du noir et blanc surtout dans les premières (et dernières) pages, la focalisation sur l’expression des visages, la spontanéité qui s'en dégage installent d'emblée une atmosphère prenante.
La mise en couleurs ajoutent encore à cette réussite esthétique : elles évoquent magistralement les décors fantasmatiques de l'Orient, dignes des Mille et une Nuits. Des scènes comme celles dans le désert et l'apparition des Djinns surrgissant du sable ou du feu d’artifice sont éblouissantes.
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Cet album hautement recommandable ne se limite pas à un exercice de style sur comment raconter une histoire : il nous invite à réfléchir sur l’art de les trouver, de les dire, de les écrire - bref, de les transmettre.

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