samedi 4 avril 2009

Critique 10 : DAREDEVIL - L'HOMME SANS PEUR par Frank Miller et John Romita jr

Daredevil : Man Without Fear
(#1-5 ; Octobre 1993-Février 1994)

Daredevil : l'homme sans peur est un récit complet écrit par Frank Miller et dessiné par John Romita Jr.
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Lors de son apparition en 1964, les origines de "DD" étaient racontées, dans le plus pur style de Stan Lee, en une dizaine de pages (à l'époque, la "décompression" narrative n'avait pas encore cours...) : on y apprenait comment le jeune Matt Murdock devenait, à la suite d'un ac­ci­dent, aveugle et décidait de s'entraîner pour se transformer en justicier tout en en se destinant à la carrière d'avocat. Le symbole n'était pas subtil (la justice aveugle contrebalançant la pesanteur de l'appareil légal) mais d'une rare efficacité.
Le héros a toujours occupé avec sa série une place à part dans la galaxie Marvel, personnage torturé, sombre, contrastant avec les icones comme Spider-man ou les 4 Fantastiques, plus abordables.
C'est aussi un titre qui a profité du concours de très grands artistes, comme Bill Everett, Gene Colan, Frank Miller (au meilleur de sa forme graphique), David Mazzucchelli, jusqu'à Alex Maleev et Michael Lark récemment.
Lorsqu'en 93 l'éditeur Ralph Macchio initie le projet d'une mini-série pour exposer à nouveau et dans le détail la jeunesse du diable rouge, il décide de réunir un équipe de choc : c'est ainsi qu'il convainc Miller - qui a développé une idée identique avec son Batman : year one, avec David Mazzucchelli (sans nul doute leur chef-d'oeuvre absolu) - d'en être le scénariste et Romita Jr le dessinateur - qui a déjà illustré les aventures du personnage, sur des scénarios d'Ann Nocenti pour un run mémorable. Le succès est assuré et les rééditions de ces cinq chapitres ne manqueront pas pour le prouver.
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Curieusement, le point faible s'avère être le récit, très prévisible. Miller, qui avait si bien réussi à revenir sur les premiers pas de Batman en développant parallèlement l'histoire du commisaire Gordon, n'est pas aussi inspiré ici. On a l'impression qu'il n'a pas osé changer les meubles de place, ni su trouver d'espace pour glisser quelques surprises, comme si Stan Lee avait tout dit. Même quand il introduit Elektra, la riche héritière névrosée et violente, qu'il a pourtant inventée, Miller lui fait traverser l'intrigue comme un météore avant de l'en faire sortir expéditivement...
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Il s'agit donc des origines de Daredevil, depuis l'époque où l'adolescent Matt Mur­dock, fils d'un boxeur déclinant, "Bat­tlin' Jack" Mur­dock, dit ‘The Devil', vit vécu dans Hell's Kitchen, bas-quartier de New York. Jusqu'à ce fameux jour où le garçon est ren­ver­sé par un ca­mion de dé­chets ra­dio­ac­tifs... Qui vont le priver de la vue mais exacerber ses autres sens.
Matt croise la route de son énigmatique mentor, aveugle comme lui, Stick, qui va lui enseigner l'usage de ses pouvoirs. Mais lorsque son père, reconverti en rabatteur pour un malfrat entre deux matchs de boxe truqués, est exécuté pour avoir refusé de se "coucher", l'adolescent choisit de châtier les criminels.
Nous le retrouvons plus tard étudiant le Droit et protégeant (secrètement) son ami, Foggy Nelson. C'est à la même époque qu'il rencontre Elektra avec laquelle il entretient une relation passionnelle. Stick l'aborde à nouveau et le met en garde contre la jeune femme - qui assouvit ses instincts meurtriers aux dépens de petites frappes en ville - avant que celle-ci ne quitte subitement son existence à la mort de son père.
Dans la dernière partie, Matt revient à New York et renoue avec Foggy. Mais il va aussi faire connaissance avec Mickey, une enfant des rues, qui ressemble étrangement à l'adolescent qu'il fut. A la même époque, Wilson Fisk alias le Caïd prend le contrôle de la pègre. Un trafic sordide d'enfants auquel va être mêlé accidentellement Mickey va sceller la genèse de l'affrontement à distance entre le futur Daredevil et son plus grand ennemi. Le récit s'achève à ce moment-phare où Murdock enfile son costume de justicier masqué et le Caïd sait qu'il va devoir compter avec cet adversaire.
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Comme on peut le voir, Miller sort peu des sentiers battus, tout juste ajoute-t-il à ces origines cette ambiance brutale et décadente, qui a établi sa réputation - jusqu'à l'autoparodie (avec Sin City et son All-star Batman) - en utilisant, toujours aussi efficacement, une voix off très présente, le tout sur un rythme soutenu. La vraie singularité de son approche est ailleurs : on ne verra Daredevil en costume qu'à la toute dernière (double) page - une audace amusante pour un comic-book super-héroïque.
On ne s'ennuie pas, mais on n'est jamais étonné, encore moins saisi par le frisson de cette initiation. De la part d'un auteur aussi révolutionnaire et qui a fourni des ouvrages mémorables (comme la série Liberty), c'est déroutant et décevant.
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En revanche, visuellement, que reprocher à John Ro­mi­ta Jr. : il livre probablement son meilleur travail, comme il l'a déclaré lui-même. Familier des récits urbains, le dessinateur emblématique de Spider-man excelle comme aucun autre dans ses représentations des rues de Hell's Kit­chen, et offre des séquences d'action d'un dynamisme et d'une fluidité exemplaires. C'est un vrai festival, presqu'un "best-of Jr Jr".
Le résultat ne serait cependant certainement pas aussi abouti sans la participation d'Al Williamson, qui avait déjà encré Romita Jr sur ses épisodes de "DD" écrits par Nocenti : le choix de fines ha­chures lors des scènes noc­turnes réhaussées par des à-plats noirs profonds valorise magnifiquement le trait du dessinateur, lui conservant son explosivité tout en lui donnant une sorte d'épure élégante, supérieure à ce qu'accomplirent Jim Mooney ou Klaus Janson (entre autres) avec l'artiste.
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Bref, ce Daredevil : l'homme sans peur constitue sans aucun doute une introduction idéale au personnage. C'est un lecture dont la principale qualité est sa grande rapidité (150 pages qui se dévorent), mais dont la surprise est absente.
Depuis, Romita Jr a continué à illustrer avec le même talent nombre de comics, parfois moins bons que lui. Miller, lui, s'est perdu dans des bd de plus en plus racoleuses, des déclarations réactionnaires indignes et une reconversion piteuse de cinéaste.
C'est aussi cela qui fait de cette mini-série un vrai document sur la rencontre de deux grands noms aux destins fort différents.

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