vendredi 31 juillet 2020

EMPYRE : SAVAGE AVENGERS #1, de Gerry Duggan et Greg Smallwood


Conan, Venom, Gerry Duggan : voilà trois noms qui d'habitude auraient suffi à me faire passer mon chemin. Mais ajoutez-y celui de Greg Smallwood et ça change tout (je sais, je suis faible). C'est comme ça que je suis trouvé à acheter Empyre : Savage Avengers, un tie-in parfaitement dispensable à la saga Marvel du moment. Mais qui, contre toute attente, fournit un bon moment, somptueusement dessiné.


Conan est à Mexico où il assiste, déçu, à un match de catch lorsque les Cotati atterrissent et commencent à capturer des indigènes pour alimenter leur vaisseau. Le cimmérien s'interpose mais reçoit une flèche empoisonné qui le fait tomber dans le pommes et délirer.


Il est réveillé par Venom qui passait opportunément par là et lui demande de l'aider à mettre fin au carnage commis par les Cotati. Conan ne se fait pas prier mais Eddie Brock pense qu'il leur faudra de l'artillerie lourde contre cet ennemi.


Conan se charge de faire diversion en décapitant quelques aliens qui s'en prennent aux civils. Il s'empare du véhicule de l'un d'eux pour cartonner quelques Cotati avec sa délicatesse légendaire. Cependant Venom a trouvé un camion citerne et le balance en direction du vaisseau extra-terrestre.


Boum ! C'est fini !

Sur ce scénario qui tient sur un timbre-poste, Gerry Duggan fait ce qu'il sait faire de mieux : un one-shot régressif, spectaculaire et efficace, qui va à cent à l'heure et qui tire quelques sourires ravis au lecteur.

C'est marrant quand même : à part ses Uncanny Avengers, certes pas très finauds mais décapants, Gerry Duggan est probablement un des scénaristes Marvel en vue qui me navrent le plus. Ce type anime actuellement Marauders, série où il fait n'importe quoi avec des mutants dont n'a pas besoin Jonathan Hickman (même si ce dernier a entre ses mains le vrai futur de Tornade et aura son mot à dire sur celui de Kitty Pryde). De toute façon, à part aligner des jokes épaisses comme des cables (Cable dont il écrit aussi la série) avec Pyro dans un pénible rôle de bouffon et rédiger des scripts où il doit préciser en caractères gras aux artistes d'insister sur le décolleté d'Emma Frost, Duggan est totalement incompétent et ne tient aucun compte de ce qu'a construit Hickman ou de la personnalité de ses X-Men. Je parcours encore ses épisodes quand ils sortent mais je suis trop démoralisé ensuite pour les critiquer.

En revanche, le même Duggan excelle dans l'exercice pourtant périlleux du done-in-one, mais comme il n'a pas l'air de s'en rendre compte, sûr d'être un vrai feuilletonniste, il ne sy prête qu'en de trop rares occasions. Et quand c'est le cas, il a au moins le bon goût de le faire en compagnie de Greg Smallwood.

Ceux qui suivent mes articles savent que je suis un fan frustré de cet artiste. Je ne comprends absolument pas pourquoi Marvel ne l'utilise pas davantage alors qu'il a fait sensation durant le run de Jeff Lemire sur Moon Knight (je ne saisis pas davantage pourquoi DC ne le signe pas en exclusivité au lieu de lui confier des miettes comme sur DC Cybernetic Summer ou DC's Crimes of Passion). Voilà un dessinateur régulier, à la technique affolante de maîtrise, au talent incontestable, mais qui ne travaille pratiquement pas.

Duggan est donc un des rares scénaristes à le solliciter et leur complémentarité fonctionne à fond. C'est comme si à proximité de Smallwood, Duggan devenait plus rigoureux, concentré et produisait au mieux. Même quand ce n'est qu'un tie-in superflu à Empyre.

Parce que, bon, on ne va pas non plus se voiler la face, ça ne vole pas haut. Moins en tout cas que The Best Defense : Defenders - Doctor Strange, des mêmes Duggan et Smallwood, une merveille de concision et de beauté graphique. Ici, on a Conan, dépeint comme plus bas du front tu meurs, qui assiste à un match de Catch à Mexico puis bastonne des aliens à coup de parc-mètre (si, si), et Venom, qui sort de nulle part, mais tout content de dérouiller du Cotati avec son pote cimmérien. Ces deux-là ne font pas dans la dentelle (même si Venom se retient étrangement de ne bouffer aucun alien) : ça décapite, ça écrase en voiture, ça explose à coup de camion-citerne. C'est tout de même très rigolo tellement c'est WTF.

Duggan ne force pas son talent parce qu'il sait qu'il a un dessinateur tellement bon que son script va être transcendé par des images mémorables (comme avec Ron Garney sur Fantastic Four : Ben Grimm Noir). Et Smallwood ne déçoit pas. Il ose même tout, à commencer par la colorisation (qu'il assume comme souvent). Résultat : des planches limite psychédéliques sur fond jaune, rose, bleu, qui ajoute à l'aspect barré de l'affaire.

Smallwood peut s'emparer de n'importe quel personnage et l'animer comme s'il s'en occupait depuis des années (raison de plus pour s'étonner qu'on ne lui confie plus de titre régulier). Son Conan est saisissant, brute épaisse, véritable bélier qui se jette dans la mélée avec enthousiasme et zéro réflexion. Et Venom moins monstrueux que souvent mais imposant, rapide, jubilatoire. Sans oublier le soin apporté aux décors, aux accessoires, et un découpage du feu de Dieu (souvent des cases occupant toute la largeur de la bande ou qui décroissent en largeur pour suggérer l'état mental du héros - comme lorsque Conan tombe dans les pommes : effet garanti et pourtant simplissime).

Surtout Smallwood, c'est un trait : il réussit à conserver à celui-ci le côté granuleux de la graphite non encrée, ce qui confère une spontanéité à l'image, une texture sur laquelle les couleurs se fondent. J'aimerai bien savoir comment il fait ça, mais c'est sa griffe, reconnaissable entre mille.

Cet Empyre : Savage Avengers alimente bien des regrets en même temps qu'il donne du plaisir. Regrets de ne pas lire plus souvent du Duggan dans ce format (qui lui convient parfaitement), de ne pas suivre Smallwood sur une série. Mais plaisir de voir ces deux-là ensemble, si parfaitement accordés.

jeudi 30 juillet 2020

X-MEN #10, de Jonathan Hickman et Leinil Yu


Après quatre mois d'absence, X-Men revient enfin. Mais la série conduite par Jonathan Hickman n'a pas souffert de son interruption grâce à son format "un épisode/une histoire" si efficace. Il s'agit en outre d'un tie-in à Empyre, qui pose frontalement la question de la cohabitation récente entre mutants et Cotati sur la Lune, avec une issue redoutable, que Leinil Yu (pour une de ses dernières prestations sur le titre) illustre magnifiquement.


Gabriel Summers/Vulcain est, depuis son retour au sein des X-Men, hanté par un rêve dont il ignore qu'il s'agit du vrai récit de sa résurrection après le combat mortel qui l'opposa jadis à Black Bolt des Inhumains. Tombé dans les pattes de trois aliens, il a été l'objet de leurs expériences.


A son réveil, il est attendu dans la Maison Summers par Sway et Petra qui prépare une fête bien arrosée. Mais il n'est pas d'humeur et sort se promener. Bien vite il approche de la Zone Bleue de la Lune où sont établis les Cotati, sur le pied de guerre.


Vulcain est capturé puis son esprit sondé. Il découvre alors ce que les trois aliens lui ont fait, enfouissant provisoirement la part la plus violente de sa personnalité. Elle revient à la surface et il atomise littéralement les Cotati su place.

Un général Cotati apprend qu'un survivant, avant de succomber, a désigné l'agresseur comme venant de l'île de Krakoa sur Terre...


Vulcain, Petra et Sway (mais aussi Darwin - qui est toujours dans la sentinelle cannibalisée par les Enfants de la Voûte, avec Synch et X-23) sont des mutants spéciaux. En effet, ils ont été créés en 2006, lors de la saga Genèse Mortelle (Deadly Genesis), écrite par Ed Brubaker (et sur des designs de Trevor Hairsine). Jamais depuis la seconde génération de X-Men (en 1975) élaborée par Len Wein et Dave Cockrum, un groupe entier et original n'avait été ainsi ajouté d'un coup à la Nation X.

Narrativement, il s'agit de personnages sacrifiés puisque, à la faveur d'une retcon subtile, Brubaker avait imaginé que Charles Xavier avait assemblé une équipe, entraînée à la hâte, avec Moira McTaggert, pour aller sauver les premiers X-Men piégés sur Krakoa. Leur mission se soldera par leur mort, même si plus tard Vulcain resurgira, résolu à se venger à la fois de Xavier et des Shi'ar (qui avait tué sa mère - il deviendra d'ailleurs leur empereur et déclarera la guerre aux Inhumains alors partis à la recherche de leurs origines Krees).

La présence de Vulcain dans la Maison Summers dans le premier épisode de X-Men de Jonathan Hickman interrogea les fans sur sa résurrection et par conséquent sur sa condition mentale puisqu'il semblait sérieusement assagi, ignorant même les massacres qu'il avait commis lors de sa vengeance. Mais comment était-il revenu de sa bataille contre Black Bolt à la fin de laquelle il sembla avoir péri avec le roi des Inhumains ?

Hickman y répond de manière habile, en levant le voile sans trop en dire non plus. On reconnaît bien là la méthode du scénariste, qui aime à planter des mines depuis le début de son run, comme autant de bombes à retardement. Les expériences pratiquées par trois apprentis-sorciers aliens expliquent que Gabriel Summers est une autre de ses menaces en sommeil pour sa communauté. Et plus actuellement l'allumette qui a certainement mis le feu au poudre pour les mutants dans la guerre menée par les Cotati.

Car, c'est l'autre point du récit, il était inévitable que la Maison Summers, basée sur la Lune, allait croiser ses nouveaux voisins belliqueux. Empyre : X-Men semblait tout désigné pour traiter du problème, mais Hickman et Tini Howard ont choisi de partir dans une autre direction. Là, l'affaire est considérée plus frontalement, avec des conséquences explosives. La chute de l'épisode ne fait aucun doute sur la suite.

Mais ce n'est pas tout. Depuis X-Force #10, on sait désormais, clairement, que la sexualité des mutants est ouvertement échangiste (Jean Grey rejoignait Logan dans un bain et pas que pour faire que pour faire sa toilette...). Ce qui était suggéré jusqu'à présent est devenu limpide : tout le monde couche avec tout le monde chez les mutants. Du coup, un érotisme torride contamine les épisodes, le lecteur cherche non pas à se rincer l'oeil (on reste quand même dans du comic mainstream, avec une dose de censure évidente) mais à guetter le moindre signe de rapprochement entre deux (ou trois ou plus...) mutants.

Hickman est moins direct que Benjamin Percy mais il semble s'amuser à émoustiller son lectorat avec la complicité de Leinil Yu comme lorsque Vulcain à son réveil est attendu par ses camarades Sway et Petra, deux bombasses qui veulent faire la fête à grand renfort d'alcool et de sexe implicite. Tout laisse entendre que les deux filles aimeraient bien s'amuser avec Gabriel Summers et d'autres invités. Yu représente ses jeunes gens sans mystère, dans leurs combinaisons moulantes, où leur anatomie sculpturale les montre dans toute leur séduction. Ce sont de jeunes dieux dyonisiaques, sur la Lune (donc littéralement, loin de la Terre des pauvres mortels humains), s'aguichant du regard, ondulant de façon sensuelle comme s'ils dansaient avant une orgie. On peut même facilement penser qu'en rentrant à la fin de l'épisode ils vont cette fois s'amuser comme les deux filles l'avaient prévu...

Yu a annoncé qu'il allait bientôt quitter la franchise "X" (qui n'aura jamais si bien porté son nom...), sans doute affecté par la disparition de son ami encreur Gerry Alanguilan, et aussi certainement pour d'autres projets (en creator-owned peut-être). Même si ses prestations n'ont plus la qualité d'autrefois (Marvel l'ayant pressuré en lui confiant des events et en le baladant de série en série), sa complicité avec Hickman est indéniable. Le scénariste sait qu'il peut compter sur l'artiste pour servir ses scripts avec compétence et fiabilité, Yu n'est pas un "m'as-tu vu" qui cherche à tirer la couverture à lui, c'est un dessinateur humble et qui, dans ses bons jours, produit avec une rare régularité des planches très soignées.

Il connaît par ailleurs bien les mutants (il a oeuvré sur pas de leurs titres) et sait les animer indifféremment, en leur confiant cette majesté un peu rigide et énigmatique qui convient si bien aux scénarios de Hickman, dont les faveurs vont aux personnages naturellement imposants (Cyclope, Apocalypse, Vulcain...). Le découpage de Yu est toujours simple, au service de l'histoire et de ses acteurs. Ce n'est pas très dynamique mais il sait doser ses effets et balancer une splash-page quand il le faut, en dessinant ici un paysage, là une explosion vraiment extraordinaires.

Ce ne sera pas simple de le remplacer, mais sans doute celui qui sera aussi sollicité apportera quelque chose de totalement différent, susceptible de teinter différement la narration (Stefano Caselli me paraît un candidat évident et crédible, parce qu'il a collaboré avec Hickman souvent et qu'il peut passer après Yu sans problème. Il serait en outre mieux mis en valeur que sur Marauders).

Quoiqu'il en soit, c'est un nouveau chapitre très plaisant. Profitons-en car en Septembre, les grandes manoeuvres débutent avec le giga-crossover X of Swords (en 22 parties ! - et dont l'intrigue circulera dans toutes les séries "X")... 

EMPYRE #3, de Dan Slott, Al Ewing et Valerio Schiti


Nous voici arrivés à mi-chemin de Empyre et c'est en quelque sorte maintenant que les vraies difficultés commencent pour Dan Slott et Al Ewing. En effet, les enjeux de la saga sont posés, la guerre est déclarée, et il faut désormais faire fructifier tout cela pour que l'intrigue ne soit pas seulement un grand spectacle sans âme, un blockbuster convenu. Du coup, l'épisode donne le sentiment d'une légère baisse de tension. Mais c'est pour mieux redisposer les pions sur l'échiquier.


Montagne des Avengers. Mr. Fantastic tente de remonter le moral de Tony Stark, furieux d'avoir été roulé dans la farine par Quoi et Swordsman. Lesquels préparent déjà la suite de leur plan en ciblant le Wakanda dont le sol et ses ressources permettraient aux Cotati d'augmenter infiniment leur puissance.


Mais le Wakanda est déjà prêt à affronter l'envahisseur avec la Chose à sa tête. La bataille éclate contre les hommes-plantes déterminés à exterminer toute vie animale sur la planète. pour ensuite recevoir l'alliance Kree-Skrull.


Au palais du Wakanda, Black Panther a appelé un renfort opportun en la personne de Mantis, la mère de Quoi et ex-compagne de Swordsman. Elle espère pouvoir raisonner son fils tandis que T'challa contacte Hulkling pour son plan B.


A bord du vaisseau amiral de la flotte Kree-Skrull, Hulkling répond favorablement à la requête de T'challa et lui envoie son épée magique, contre l'avis de ses conseillers. Tanalth exige du Super-Skrull qui évoque le Bûcher, l'arme par laquelle la guerre contre les Cotati pourrait se jouer.


La solution est radicale. Mais Captain Glory perce à jour, en coulisses la véritable identité de Tanalth et son objectif...

Les sagas événementielles souffrent souvent de ne pouvoir conjuger action à grand spectacle et caractérisation intelligente. Il faut choisir et souvent la baston prime pour satisfaire la frange du public la plus facile à convaincre de la qualité du divertissement.

Pourtant, Empyre surprend avec ce troisième épisode qui prend le temps pour se poser et explorer les états d'âme de ses protagonistes en les soumettant aux solutions pour stopper leur ennemi commun. Dans un premier temps, Dan Slott a clairement pris les commandes puisque c'est la voix off de Reed Richards/Mr. Fantastic qui nous guide. Tony Stark, reclus dans la montagne des Avengers, rumine après la trahison de Quoi et Swordsman, qu'il a naïvement crus. Il est alors question de la situation des deux savants du Marvel Universe : Stark, bien qu'étant membre des Avengers, est profondément seul (Captain America mène d'autres héros contre les Cotati sur Terre, Thor cherche une arme capable de renverser la situation), tandis que Richards est le leader d'une équipe qui est aussi sa famille. La différence est bien exposée.

Un bref intermède nous conduit sur le champ de bataille du Wakanda où les Cotati affrontent des héros, Ben Grimm en tête. Mais là encore, Slott et, surtout, Ewing font un pas de côté. L'essentiel se joue ailleurs, dans le palais de T'challa/Black Panther. Il a compris que Quoi convoîtait les ressources de son pays qui lui permettraient d'augmenter sa puissance. Et il a fait appel à Mantis, la mère du garçon et ex-compagne du Swordsman pour tenter de règler la crise à l'amiable (tout le monde s'accorde à dire que ce n'est pas gagné).

T'challa est ici écrit pour ce qu'il est vraiment : un chef d'état, in stratège mais aussi un diplomate. Son autorité est évidente, tranquille, il n'a pas besoin d'élever la voix, même quand She-Hulk et Sue Richards doutent d'une issue pacifique face aux Cotati. Ce qui impressionne, c'est que, au coeur d'une saga comme Empyre, les auteurs osent développer une scène comme celle-ci pour rappeler que les guerres se jouent aussi en coulisses.

Et cela se confirme avec la troisième et dernière partie de l'épisode qui se déroule entièrement dans le vaisseau amiral de la flotte Kree-Skrull. Investie du rôle d'accusatrice, Captain Marvel est devenue une pièce maîtresse dans le conflit car son pouvoir permettrait de tuer dans l'oeuf l'expansion des Cotati.Mais au péril de sa vie. Krees et Skrulls pressent Carol Danvers, prête à se sacrifier, même si Johnny Storm est réticent (on notera que les quatre Fantastiques sont tous disposés stratégiquement : la Chose au Wakanda, la Femme Invisible à côté de Black Panther, Mr. Fantastic auprès de Tony Stark, la Torche Humaine avec Captain Marvel et Hulkling).

L'évocation d'une solution encore plus radicale est révélée avec le Bûcher (the Pyre), utilisée jadis pour détruire une planète Skrull, sacrifiée par le Super Skrull pour sauver le reste de sa race. Hulking est sous pression mais le jeune homme résiste à ses conseillers, s'imposant comme autre chose qu'un homme de paille (et, à mon avis, la suite de la saga pourrait confirmer cette émancipation décisive). Surtout, elle conduit à un twist majeur concernant Tanalth, qui renverse complètement la table sur la présence Skrull dans l'entourage du jeune empereur...

Valerio Schiti a de quoi faire, encore, avec cet épisode. Bien entendu, pour en mettre plein la vue, il envoie du bois dès la première page puis ensuite avec une double page lorsque les Wakandais et leurs alliées repoussentn les Cotati. Mais l'italien a déjà montré par le passé qu'il excellait aussi dans les moments plus calmes.

Comme, juste avant Empyre, il a dessiné Tony Stark : Iron Man (écrit par Slott), il maîtrise naturellement Tony Stark et la scène entre lui et Reed Richards est un modèle du genre. Examinez le soin avec lequel Schiti représente les deux personnages, soignent leurs attitudes, leurs expressions : c'est vraiment très bon.

Idem lors de l'arrivée de Mantis au palais royal de T'challa. Par un jeu de champ-contre-champ, en choisissant des angles de vue dynamiques, il injecte aux dialogues une vivacité électrisante. Comme pour la scène entre Richards et Stark, il ponctue l'échange par une page dans laquelle il insère des plans du passé, une narration parallèle très fluide, qui sert à mettre en perspective les points de vue de chacun (la frustration de Stark, l'instinct maternel de Mantis).

Mais le gros morceau se situe dans le huis-clos du vaisseau de Hulking. Là, Schiti doit jongler avec six personnages (Hulkling, Captain Marvel, Johnny Storm, le Super-Skrull, Tanalth, Captain Glory) et il s'agit de rendre justice à chacun, de les disposer de manière claire dans l'espace, avec pour point culminant l'évocation du Bûcher (une double page incroyable). La mise en scène est exemplaire, la tension qui circule entre les interlocuteurs est palpable, les intentions de chacun sont admirablement traduites par un dessin superbement composé. Schiti fait l'effort constant de bien représenter le décor, de varier la valeur des plans, de découper la séquence avec imagination (comme en osant un "gaufrier" quand T'challa contacte Hulkling).

C'est pour toutes ces qualités, narratives et graphiques, réunies que Empyre se distingue de beaucoup des events précédents. Solidement écrit, puissament illustré, ce récit prouve qu'il a été particulièrement bien conçu, ils portent la marque de ses auteurs (plus que d'editors interventionnistes). Vivement la semaine prochaine pour la suite.   

mercredi 29 juillet 2020

DC CYBERNETIC SUMMER #1


Vous souffrez de la chaleur ? Alors DC Comics a pensé à vous avec ce hors-série intitulé DC Cybernetic Summer, une anthologie de dix histoires courtes sur le thème des vacances contrariées des héros. Comme d'habitude, ce genre d'exercice connaît des fortunes diverses, selon l'inspiration des auteurs. Mais ici, tout est fait pour se détendre et on trouve même quelques perles.


Corinna Bechko et son mari Gabriel Hardman unissent leurs forces pour s'intéresser aux congés de Batman, qui ne prend justement jamais de congé. Surtout quand Brother Eye, l'intelligence artificielle qu'il a conçue jadis pour surveiller les méta-humains fait des siennes. Prime à l'action pour ce récit rythmé où Hardman ne ménage pas sa peine tandis que Bechko oublie un peu le thème.


Wonder Woman est à l'honneur dans le segment suivant et naturellement, Nicola Scott, la dessinatrice qui a oeuvré au début de l'ère Rebirth de l'amazone, est de la partie. Elle met joliment en images un scénario très anecdotique, dont la seule originalité est d'utiliser en guests les Metal Men, en particulier Platine.


En revanche, Stephanie Phillips et Leila del Luca s'en sortent un peu mieux avec Red Tornado, un personnage oublié depuis belle lurette (son dernier emploi notable date, si je ne m'abuse du run de Brad Meltzer sur Justice League of America, ce qui date). J'ai bien apprécié cette histoire familiale, naïve mais bien menée.


On monte d'un cran avec Booster Gold et Blue Beetle qui pour profiter de la plage égoïstement sèment une belle pagaille temporelle. Heath Corson et surtout Scott Koblish, qui illustre richement tout ça, en ne lésinant pas sur la figuration, s'amusent bien (et nous aussi) avec ces deux sympathiques idiots (qu'on aimerait revoir dans une série aussi drôle).


Joshua Williamson va bientôt conclure un long run sur Flash mais a encore quelque idées sous la main comme il le prouve en écrivant ce chapitre. Bon, on n'est pas franchement dans le thème, mais la course entre Barry Allen et le Mercury Flash profite à fond du graphisme cartoon de David Lafuente et d'une morale bon enfant. (P.S. : SVP DC, rendez à Flash son costume original sans ces immondes traits jaunes ajoutés par Jim Lee).


Liz Erickson et Nik Virella s'associent ensuite pour une intrigue très rétro avec Superboy et la Légion des Super-Héros en mode 50's. Le duo y va à fond en signant un essai qui reprend toutes les excentricités narratives du Silver Age. Et en reléguant finalement le côté super-héroïque au second plan au profit d'une romance décalée. Pas mal.


Par contre, je serai moins indulgent avec l'histoire présentant Apollo et Midnighter contre M. Mallah et le Cerveau. Déjà le dessin de Paul Pelletier, déjà pas très fin, est salopé apr l'encrage de Norm Rapmund. Ensuite le scénario de Steve Orlando est d'une balourdise rare pour évoquer l'homosexulaité des deux tandems qui s'affrontent. Passons.


Che Grayson a de la chance : c'est l'excellente Marguerite Sauvage qui dessine son script, au demeurant très amusant avec Harley Quinn qui s'entête à tenir sa promesse à Sy Borgman d'être au frais par une journée de canicule. Peu importe ce que ça raconte, Sauvage sublime cela avec son trait élégant et ses couleurs acidulées.


Je parlais de pépite dans le lot : hé bien, la voilà ! Max Bemis s'occupe des vacances de Robotman, en pleine déprime, et livre une merveille de sensibilité et d'humour, découpée en deux parties. C'est le chapitre le mieux construit, qui correspond le plus au thème et le plus intelligent, de loin. En plus, c'est le mieux illustré, là encore il n'y a pas photo, et ce n'est pas un hasard puisque c'est Greg Smallwood qui s'y colle, avec son brio habituel (même si c'est quand même la misère de voir un artiste comme lui si peu exploité).

On finit avec le produit des efforts de Stuart Moore et Cully Hammer... Pour un gros délire avec Cyborg, Superman, Cyborg Superman et même... Super Cyborg Cyborg Superman (si, si). On nage dans le grand n'importe quoi mais c'est l'occasion ou jamais.

Un tel format (plus de 80 pages) ne peut aboutir qu'à un résultat mitigé, mais DC Cybernetic Summer s'en tire honorablement. Rien que pour Robotman et Booster Gold & Blue Beetle, vous pouvez craquer.

vendredi 24 juillet 2020

DAREDEVIL #21, de Chip Zdarsky et Marco Checchetto


Back in red : enfin, après tout ce temps, Daredevil enfile à nouveau son costume rouge ! Chip Zdarsky aura fait patienter les fans mais il ne déçoit pas en signant un épisode puissant. La bataille de Hell's Kitchen fut un sommet de son run, mais le début de ce nouvel arc intitulé Truth/Dare, dans un tout autre registre, en impose aussi. Et Marco Checchetto est dans la même forme que son scénariste. Il semblerait bien que l'Acte II de la série promette de grands moments.


Après avoir affronté aux côtés du détective Cole North, de Typhoid Mary et de Wilson Fisk, les mercenaires des Stromwyns, Daredevil prend tout le monde de court en annonçant se livrer à la police pour le meurtre de Leo Carraro.


Le Caïd reçoit un appel des Stromwyn mais leur raccroche au nez tandis que North conduit Daredevil au poste, mais en étant disposé à le laisser fuir avant. En route, Foggy Nelson leur barre la route et tente de raisonner Matt Murdock.


Daredevil rentre chez lui, où l'attend, comme prévu, Spider-Man, qui l'avait mis en garde s'il remettait le masque. Mais le tisseur est pris de vitesse en apprenant ce que va faire son ami. Il se retire. Daredevil repart pour le commissariat.


Là-bas, Foggy a obtenu un arrangement avec le procureur Holcher. Mais celui-ci exige de savoir qui se cache sous le masque de Daredevil avant de le poursuivre...


Le vingtième épisode de Daredevil avait été comme une libération avec sa baston épique et le retour en force de l'homme sans peur. Son twist final demeurait à la fois inattendu et logique car Matt Murdock agissait alors comme un homme responsable, assumant ses actes, refusant de se cacher plus longtemps, même en ayant remis son masque de justicier. Chip Zdarsky ne se défile pas quand, cette fois, il raconte les conséquences de ce qu'il a établi.

C'est donc un numéro beaucoup plus calme mais tout aussi intense. Daredevil se livre à la justice pour être jugé du meurtre de Leo Carraro, cette faute qui le hante depuis des mois. Cette attitude est à la fois digne et résignée : le procès auquel il accepte d'être soumis, c'est la manière, unique, d'être jusqu'au bout ce qu'il est, mais aussi d'admettre que Daredevil le dépasse tout en le restant, et enfin de savoir si oui ou non il a tué un homme, s'il est déclaré coupable pour cela. Le justicier et l'homme de loi, Daredevil et Matt Murdock, n'ont jamais été si un et indivisible.

Zdarsky manoeuvre très intelligemment en ne zappant aucune scène attendue. Cole North réticent à l'idée de menotter et de conduire DD au commissariat, Foggy qui essaie de raisonner son ami, DD qui s'explique avec Spider-Man qui l'avait prévenu de ce qui l'attendait s'il revenait, un échange avec le procureur (peut-être le moment le plus critique du lot), et l'arrestation en bonne et due forme.

Le scénariste s'appuie aussi, encore, avec respect, sur ce que son prédécesseur sur le titre, Charles Soule, a permis de poser comme acquis, à savoir le statut légal d'un super-héros, et donc la possibilité qu'il soit poursuivi sans avoir à se démasquer publiquement. Je défends le run de Soule, bien qu'il ne soit pas populaire, parce que j'estime qu'il n'est pas franchement pas si mauvais que beaucoup le prétendent et surtout parce qu'il a, comme ceci, établi des points que d'autres auteurs n'ont jamais clarifié. Si cela avait été fait avant, le sort de beaucoup de héros clandestins dans une saga comme la première Civil War aurait été bien différent.

Il y a en effet un côté très romancé er romantique dans le rôle du super-héros et cela arrange bien auteurs et lecteurs. Il s'agit tout de même de types (et de filles) masqués, parfois armés, ou dotés de super-pouvoirs, qui courent les rues et arrêtent des gens sans aucun insigne. Aux Etats-Unis, on appelle cela le "citizen's act", la possibilité de procéder à une appréhension en attendant l'arrivée des forces de l'ordre. Mais cela conduit à une forme de justice parallèle où tout un chacun peut prétendre jouer au redresseur de torts ou estimer appliquer la loi. Les risques de dérive, avec une forme d'auto-défense abusive, ne sont pas loin, et peut-être est-ce aussi pour cela qu'on assiste si régulièrement à des bavures policières par des flics qui se sentent le droit d'arrêter et même de tuer sur un soupçon.

Je me rappelle aussi d'un texte de Warren Ellis qui pointait la folie sous-jacente de tout super-héros. Pour justifier cela, accepter qu'il y ait des histoires avec ces individus en habits colorés, il fallait sans doute les regarder comme des reliques, des avatars des chevaliers en armure, arborant les armes de leur royaume (de leur quartier), mais sans excuser la violence de leurs méthodes ou comprendre l'excentricité de leur apparence. Joseph Michael Straczynski soulignait aussi l'aspect totémique des super-héros en notant que souvent leurs ennemis correspondaient visuellement à ce que les justiciers véhiculaient (Captain America contre des nazis, Spider-Man contre des vilaines bestioles, Thor contre d'autres divinités, etc). Tout cela appartient aux codes des comics mais est rarement interrogé d'une manière aussi directe que ce que fait ici Zdarsky (sans doute parce qu'on pense que ce genre de commentaires sur le genre super-héroïque est réservé aux oeuvres plus prestigieuses comme Watchmen).

Marco Checchetto avait lâché les chevaux lors de la bataille de Hell's Kitchen, mettant en scène des combats de toute beauté, régalant le lecteur avec des chorégraphies et des morceaux de bravoure qui font le sel des comics.

Il transforme en quelque sorte l'essai en prouvant, si besoin était, qu'il est aussi à l'aise quand il s'agit de maintenir la pression avec des scènes plus intimistes. Le découpage de l'épisode contribue à ce séquençage : Daredevil enchaîne les moments, brefs mais intenses, avec un interlocuteur à la fois - North, Foggy, Spider-Man, Holcher. Et à chaque fois, Checchetto donne à ces scènes une charge particulière, notamment par rapport au cadre où elles se situent - dans l'habitacle d'une voiture, à travers une vitre, dans un appartement plongé dans le noir, dans un bureau. A chaque fois, Daredevil ne peut échapper à celui qui s'adresse à lui et le personnage est économe de ses mots, mais pas de sa détermination. Il est sage avec North, muré dans le silence avec Foggy, offensif avec Spidey, affligé avec Holcher. Checchetto traduit ces étapes avec maestria grâce à des valeurs de plans, des compositions simples mais justes et efficaces.

En refermant cet épisode, on est à la fois soufflé et bousculé. Voici le personnage et la série plongés dans une tourmente inédite. Quelle qu'en soit l'issue, on peut vraiment penser qu'après ça, Daredevil ne sera plus le même.

DECORUM #3, de Jonathan Hickman et Mike Huddleston


C'est (positivement) étonnant mais je découvre que Jonathan Hickman est un auteur qui peut être drôle. On ne le croirait pas comme ça car le scénariste, réputé pour ses histoires au long cours, minutieusement planifiés, passe pour un bonhomme très sérieux, cérébral, limite prétentieux. Mais Decorum est une série totalement atypique, qui ne va jamais là où on l'attend, et le fait avec humour comme en atteste ce numéro. Comme d'habitude somptueusement mis en images par le prodigieux Mike Huddleston, qui donne à l'ensemble une dimension encore plus foutraque.


Imogen Smith-Morley a donc proposé à Neha Nori Sood de plaquer son job de coursier pour devenir un assassin professionnel après qu'elle ait assisté à une de ses exécutions. En échange, elle voit le traitement de son fils assuré. Mais la jeune femme de 21 ans est indisciplinée.


Or pour Imogen, le talent ne fait pas tout, c'est par un entraînement strict qu'on devient capable. Elle conduit Neha jusqu'à la planète Tempest, où elle-même a été formée et dont elle devenue une (si ce n'est la) meilleure tueuse de l'univers.


Le décor du centre de formation impressionne Neha, même si elle n'est toujours sûre d'y avoir sa place. En tout cas la voici introduite dans la Sororité de l'Homme, dirigée par la terrible Sister Ma, où postulent trois autres candidates redoutables...


Le précédent épisode m'avait laissé confus, avec ces passages cosmiques, son histoire d'oeuf convoîté par l'Eglise de la Singularité alors même que les Mères Célestes avaient du mal à le contrôler. Où Jonathan Hickman voulait-il en venir ? Quel rapport avec l'intrigue principale ?


On attendra donc avant d'avoir des réponses à ces questions, mais en recentrant son propos sur ses deux héroïnes, réunies à la fin du premier épisode, on a la garantie d'un récit plus simple et surtout réjouissant. Car, c'est la surprise du chef : tout ça aboutit à un résultat très drôle.

Comme je le disais en ouverture, on associe pas Hickman, scénariste sérieux, établi, qui planifie ses sagas au long cours comme un architecte, et qui en interview ne passe pas pour le plus joyeux des lurons (on peut même le trouver franchement hautain), avec quelqu'un remarquable pour son sens de l'humour.

Pourtant, déjà, dernièrement dans X-Men ou son arc de New Mutants, on l'a vu se dérider franchement et proposer des histoires avec des éléments décalés, des dialogues savoureux, des situations rigolotes. Pas du genre "Bwahwahwah" comme du Justice League International version DeMatteis-Giffen-Maguire ou délirant comme Nextwave de Ellis-Immonen, mais souvent un humour british, pince-sans-rire, absurde, qui vous prend par surprise. Exemple : les mamies de Hordeculture, totalement improbables, mais pourtant capables de flanquer une raclée à Cyclope, Emma Frost et Sebastian Shaw, ou le traitement irrésisitible de Sunspot qui se prend pour un grand leader mais se ridiculise par sa prétention.

Tout ce troisième épisode de Decorum donne lieu à un dialogue entre Imogen Smith-Morley, la meilleure tueuse de l'univers, si distinguée et rigide, et Neha Nori Sood, la coursière témoin de son dernier contrat qui a accepté pour payer les soins nécessaires pour son fils de devenir à son tour une tueuse. On les suit d'abord durant le trajet spatial qui les conduit jusqu'à la planète Tempest.

Dans ce premier temps, la mauvaise humeur de Neha irrite poliment Imogen parce qu'elle tient à respecter les usages, le decorum, entre elle elles et le personnel du vaisseau qui les transporte. C'est une comédie certes, mais aussi une danse, une manière de vivre ensemble, une courtoisie qui sert à la fois à établir les différentes classes sociales et à pacifier les relations avec autrui. Neha, elle, n'y voit que hypocrisie et perte de temps.

Variant cover par Mike Huddleston

Une fois arrivées sur Tempest, le ton change et la discussion tourne autour du talent. Pourquoi Imogen investit-elle sur Neha, comme se le demande cette dernière ? Imogen a vu du potentiel dans la jeune femme car elle a vécu des choses difficiles (la maladie de son fils, un métier ingrat, le spectacle de la tuerie commise par Imogen...). Mais ce talent est brut et pour Imogen, cela ne suffit pas. Pour devenir compétente, il faut s'exercer, de façon répétée, stricte, intense.

Ce passage du dialogue sonne comme un aveu chez Hickman. Il n'est pas impossible, sans vouloir surinterpréter ses propos, qu'il parle pour lui-même et pour sa propre conception de son métier. Cette manie de préparer, de planifier (au risque, pour certains lecteurs, de rendre ses histoires un peu désincarnées, car elles privilégient le story-driven au détriment du character-driven), ce serait la méthode d'un laborieux qui croit dans la vertu de l'entraînement, de la répétition, de la discipline. Pour bien écrire, Hickman a besoin d'un matériau solide, comme Imogen croit que pour bien tueur, il faut une formation implacable.

Jusque-là, Mike Huddleston illustre l'épisode presque sagement en comparaison avec les expériences graphiques auxquelles il nous a habitués. Bien entendu, le travail sur les couleurs détone, avec une économie dans la palette étonnante, et des décors à peine suggérés. Tout cela change quand les deux héroïnes débarquent à Tempest avec des couleurs plus vives, un tunnel très stylisé et surtout le passage qui mène au centre de formation. Là, Huddleston enchaîne deux pleines pages ahurissantes, avec des décors photo-réalistes et surréalistes à la fois, qui nous laissent aussi bouche bée que Neha. Ce gigantisme spectaculaire tranche tellement avec ce qui a précédé et ce qui suivra que c'est un moyen très efficace de signaler qu'on a franchi une étape, qu'on pénètre dans un endroit spécial.

La comédie va alors s'imposer dans la seconde partie du scénario et produire des effets imparables. D'abord, il y a cette splash-page qui fait office de présentation pour la Sororité de l'Homme, le centre de formation, où on souhaite la bienvenue aux aspirants tueurs en énumérant les qualités de l'enseignement (avec maniement d'armes mortelles diverses).

Puis nous faisons connaissance avec Sister Ma, chargée de l'entraînement des recrues. C'est elle qui apparaît sur la regular cover, et Mike Huddleston en fait une femme mémorable d'emblée, avec son physique imposant, son énorme épée qui lui barre la silhouette, ses petites lunettes au bout du nez et son absence totale de délicatesse quand elle somme ses élèves de se présenter.

Les aspirantes ont toutes en commun d'être des criminelles effroyables et elles listent leurs exploits avec un air blasé qui est déjà très marrant, même quand on ne comprend rien à leur sabir (comme celui de Sam-Sam). C'est tout de même parfois glaçant : ainsi Jetti Kaan est une tueuse de masse, sans aucun code moral, qui tue volontiers de enfants, affiche un tableau de chasse sidérant et aucun remords.

Quand vient le tour de Neha, là, on rit franchement car non seulement elle n'a jamais tué mais surtout parce qu'elle parle d'elle-même en des termes complètement décalés par rapport à la situation : elle adore les pantacourts, avoue être pacifiste, ne sait pas ce qu'elle fait là sinon payer son dû à Imogen. "Quelque chose cloche chez elle ?" demande Sister Ma. Oui, à l'évidence, mais c'est terriblement marrant. Et franchement inattendu de la part de Hickman.

Huddleston souligne l'effet comique de belle manière puisqu'il simplifie son dessin à l'extrême en représentant parfois Neha comme un crobard enfantin ou de manière plus précise et exressive avec finesse quand elle se met à rire de sa propre incompétence, du fait qu'elle n'a rien à faire là. Il faut toute la détermination de Imogen face à Sister Ma, plus que perplexe, furieuse, au bord de l'explosion pour ce qui ressemble à une blague de mauvais goût, pour que Neha soit, contre toute attente intégrée au programme (avec la mise en garde qu'elle a intérêt à en être digne tout de même).

Tout cela a un potentiel évident. Hickman va-t-il insister sur ce ressort comique ou transformer effectivement Neha en exécutrice redoutable ? Et bien entendu, comment va-t-il relier le parcours de Imogen et sa protégée à cette affaire d'oeuf cosmique, de Mères Célestes et d'Eglise de la Singularité ? En vérité, avec cette loufoquerie assumée, on ne craint guère les développements futurs : au contraire, on a la quasi certitude que Decorum, grâce à tout cela, va continuer à surprendre et s'imposer comme l'ovni comics de l'année. 

jeudi 23 juillet 2020

EMPYRE #2, de Dan Slott, Al Ewing et Valerio Schiti


Le fait que la crise sanitaire ait altéré la publication de Empyre en la rendant finalement hebdomadaire est un atout : en effet, la tension de l'histoire n'a pas le temps de retomber d'un épisode à l'autre, on garde le souvenir du précédent chapitre bien en tête. Cela, le scénario de Dan Slott et Al Ewing et les dessins de Valerio Schiti semblent presque l'avoir anticipé puisque, et c'est un bon signe, lorsqu'on arrive à la dernière page, on est surpris que cela arrive si vite et surtout on attend la suite avec impatience.


Quoi retient prisonniers Captain America, Thor et Iron Man à qui il explique comment avec son père, Swordsman, il a élaboré patiemment sa vengeance contre les Skrulls et les Kree dont il vient de décimer la flotte.


Mais ses manoeuvres ne sont pas passées inapercues et ont même attiré l'attention d'enquêteurs terriens quand il a dû éliminer deux espions Kree et Skrulls sur notre planète. Refusant de soutenir la vendetta Cotati, Thor libère ses amis mais Quoi s'échappe par un portail végétal.


Swordsman l'imite et laisse les Avengers sidérés par la trahison des Cotati. Black Panther intercepte des appels au secours en provenance de la Terre, indiquant que Quoi est en train de l'attaquer. Thor se téléporte avec Iron Man et Captain America sur place.
  

Seule Captain Marvel reste dans l'espace, à la recherche de survivants dans la flotte Kree-Skrull. Hulkling sauve la Chose avec son Epée de l'Espace, ce qui donne l'idée à Mr. Fantastic l'idée de l'utiliser et de l'amplifier pour stopper l'expansion végétale Cotati.


Captain Marvel offre son aide pour ce projet, au péril de sa vie...

Après un premier numéro très intense et rythmé, ce deuxième épisode démarre par une phase explicative qui peut sembler laborieuse mais qui s'avère nécessaire pour qui n'a pas lu (comme moi) Incoming, un one-shot paru en 2019 et qui annonçait Empyre. Ce récit prenait la forme d'une enquête menée par plusieurs héros après les assassinats mystérieux de deux espions, un Kree et un Skrull, tués de manière étrange.

On comprend maintenant que c'était l'oeuvre de Quoi qui, depuis longtemps, préparait sa vengeance contre les deux races extra-terrestres mais dont les manoeuvres n'étaient pas passées inapercues et qui s'assurait ainsi que les terriens n'en soient pas informés.

Ce background, ajouté aux références à la guerre Kree-Skrull et à la Madonne Céleste, deux sagas assez anciennes citées dans Empyre : Avengers #0, prouve une fois encore, si besoin était, que Al Ewing a bâti sa saga sur ses fondations solides. On appréciera ce rappel des faits pour les moins connaisseurs, sans quoi les motivations de Quoi sembleraient nébuleuses.

Face aux actions passées et actuelles de Quoi, la trinité des Avengers (Iron Man, Captain America, Thor) refusent plus longtemps de le soutenir. On entre alors dans la seconde partie de l'épisode qui renoue avec l'action à grand spectacle.

Plutôt que d'entretenir le conflit de l'alliance Kree-Skrull avec les Avengers et les Fantastic Four, Ewing et Slott doivent justifier une colaition contre des Cotati qui sont passés du stade de victimes à celui de méchants de l'intrigue. Et les deux scénaristes emploient intelligemment Captain Marvel pour réaliser cela.

En effet, Carol Danvers, malgré les efforts éditoriaux de Marvel, est devenue, auprès des fans, un personnage détesté des fans, qui lui reprochent son caractère autoritariste et belliqueux (auquel j'ajouterai que sa retcon récente qui en a fait une femme mi-humaine, mi-Kree). Autant au cinéma, sin incarnation par Brie Larson a été un succès, autant depuis le run de Kelly Sue de Connick (qui a coïncidé avec le passage de Carol de Ms. Marvel à Captain Marvel, avec changement de look à la clé), personne n'est parvenu à rendre sympathique l'héroïne.

L'astuce dont Slott et Ewing usent pour réhabiliter, providentiellement (et l'avenir nous le dira, durablement ?), Captain Marvel aboutit à un changement de statut qui va certainement peser sur la suite des événements (au point de perdurer au-delà de Empyre ?). Mais le procédé a un résultat habile et efficace, qui a le mérite de rendre à nouveau le personnage attachant (quoique suspendu à une tentation dangereuse).

Valerio Schiti avait impressionné dans le numéro 1 de la saga et il poursuit dans celui-ci. Ses planches sont d'une richesse épatante, il se permet même quelques fantaisies dans le découpage lorsqu'il faut mettre en images le passage explicatif de Quoi sur les coulisses de sa vendetta. L'artiste en tout cas ne fait pas dans la demi-mesure quand il s'agit d'en mettre plein les yeux : ses vaisseaux ravagés par la végétation Cotati, l'assaut des Cotati sur Terre (une pleine page seulement mais puissanmment illustrée), le sauvetage de Ben Grimm, l'intervention de Captain Marvel (une double page éblouissante), autant de morceaux de bravoure.

Le risque dans ce genre de saga, c'est de sacrifier les personnages, leur expressivité à cause du spectacle à aussurer. Schiti a retenu la leçon et il traduit parfaitement la rage vengeresse de Quoi, la jubilation de Thor quand il rappelle Mjolnir, les réflexions de Mr. Fantastic (savoureusement restituées en mimiques), l'émotion craintive de Captain Marvel lorsque Tanalth lui remet le marteau qu'elle a elle-même reçu de Ronan l'accusateur. C'est un sans-faute, la preuve de la maturité de Schiti.

C'est encore une fois un chapitre très costaud, à l'écriture très maîtrisée et au dessin superbe. Empyre fait sensation. Si bien qu'on peut légitimement penser que, enfin, on tient là un event à la hauteur de ses promesses. 

dimanche 19 juillet 2020

GUARDIANS OF THE GALAXY #4, de Al Ewing et Juann Cabal


Après quatre mois sans nouvel episode, ce retour des Gardiens de la Galaxie fait vraiment plaisir, d'autant plus pour moi qui ait mis à contribution ce temps pour découvrir un peu plus son scénariste, Al Ewing. Ce dernier démarre son deuxième arc narratif, toujours pied au plancher, en donnant un nouveau rôle et de nouveaux adversaires aux héros. C'est par ailleurs somptueusement dessiné par la révélation Juann Cabal.


L'éclatement des Gardiens de la galaxie fait les affaires de Castor Gnawbarque III qui veut la peau de Rocket Raccoon, son ennemi juré. Il a chargé BlackJack O'Hare de former un groupe de mercenaires pour cela et cette formation compte dans ses rangs Groot, Drax et Gamora mais aussi Prince of Power.


Mais quel intérêt menace Rocket ? Gnawbarque dispose d'un convertisseur de matière identique à celui qu'utilise Galactus et avec lequel il veut exploiter les ressources d'une planète et de ses habitants. Raccoon et ses acolytes comptent l'en empêcher.


Rocket sert, avec Phyla-Vell pour veiller sur lui, à focaliser l'attention des mercenaires, pendant que Marvel Boy approche et pénètre le convertisseur de matière. Une fois dans la place, il affronte et défait facilement Prince of Power et Drax, grâce aux indications de Nova, convalescent, et Moondragon.


Mais c'était sans compter sur Gamora qui coupe la communication entre Noh-Varr et Heather Douglas et semble neutraliser le Kree. Toutefois celui-ci a plus d'un tour dans son sac, cepandant que Moondragon est assaillie par un vieil ennemi...


Y a pas à dire, ce Al Ewing est très fort et profite très habilement d'être aux commandes d'un titre certes populaire mais moins exposé qu'une franchise (comme Avengers ou Spider-Man peuvent l'être) pour marquer les esprits. Il joue sur deux tableaux (en signant aussi l'event Empyre) et gagne.

Cela passe ici par une modification sensible du rôle des Gardiens de la galaxie, qui depuis Abnett-Lanning jusqu'à Bendis (on jettera un voile pudique sur le run raté de Donny Cates, qui, à l'inverse de Ewing, me semble définitivement sur-estimé comme auteur émergent), ont été caractérisé comme des pirates de l'espace.

Pour Ewing, il s'agit désormais de le écrire comme un gang de braqueurs que leur récent split (après la mort de Peter Quill face aux Olympiens) a déchiré. Gamora, Drax et Groot n'ont pas pardonné à Rocket Raccoon de n'avoir pu éviter la disparition de Star-Lord. Gamora a entraîné ses amis dans une brigade de mercenaires recrutée par Black Jack O'Hare, à la solde de Castor Gnawbarque III. Lui-même ennemi juré du raton-laveur.

La douleur égare Gamora visiblement car Gwanbarque n'est vraiment pas fréquentable : il veut saper les ressources d'une planète et racketter ses habitants au moyen d'un engin semblable à celui dont se sert Galactus pour consommer des mondes. Ewing n'a que vingt pages et donc pas assez de place pour développer les motivations de Drax et (surtout) Groot, prêts aussi à éliminer Rocket. On verra si cela est explicité plus tard. En revanche, l'ecclectisme des mercenaires, avec O'Hare et sa tête de lapin ou du Prince of Power (une sorte d'éphèbe imbécile mais puissant), est savoureux.

Non, là où Ewing donne le meilleur de lui-même, c'est dans l'animation des Gardiens. D'abord, il réussit, contre toute attente, à faire vivre l'équipe sans Quill (et sans qu'il ne manque au lecteur, encore plus fort). Pour cela il attribue à chacun un rôle précis et inspiré : Moondragon est l'officier de liaison, Nova (encore convalescent) l'éclaireur, Marvel Boy l'homme de terrain, Rocket l'appât, Phyla-Vell sa garde du corps. Et Hercule, le joker. Le récit se déploie sur un rythme effréné tout en étant constamment lisible et l'action est d'une efficacité redoutable (l'arsenal de Noh-Varr est exploité avec un génie certain et fournit des moments très originaux). Jusqu'au cliffhanger, très accrocheur...

Souvent, je suis un peu perdu/déçu par les team-books actuels. Je trouve que les scénaristes partent avec un ou deux personnages qui sont ouvertement leur(s) chouchou(s) et néglige les autres, puis élaborent des intrigues qui mettent trop longtemps à se dessiner. Un exemple : la Justice League Dark de James Tynion IV chez DC, très laborieuse même si son run s'est achevé en beauté. Ou alors il y a la méthode Jonathan Hickman avec X-Men, qui rappelle Mission : Impossible, avec un chef immuable (Cyclope) et des membres choisis en fonction de l'objectif. Ou bien, on se fiche de tout et on emploie des héros en suivant son seul délire, au risque de laisser des fans sur le côté (Avengers de Jason Aaron, Justice League de Scott Snyder).

Ewing, lui, sait ce qu'il fait et tire le meilleur parti de son casting, sans s'enliser dans des histoires impossibles. Il peut aussi s'appuyer sur un dessinateur vraiment exceptionnel qu'on n'attendait pas à ce niveau. Franchement, qui connaissait Juann Cabal avant ça et aurait misé sur lui pour conduire une série pareille ? Pas moi. Et j'aurai eu tort car c'est sans doute la révélation de l'année.

Sur un plan technique, Cabal maîtrise son sujet : son trait est expressif et fin, généreux dans le détail (voir la page dans laquelle Marvel Boy se faufile dans les conduits du convertisseur), les émotions des personnages sont finement traduites. Mieux encore : son découpage est souvent virtuose. Il pourrait y aller tranquille mais il se permet des fantaisies spectaculaires (l'apparition de Marvel Boy sous forme d'un crayonné, l'encerclement du vaisseau de Moondragon par le dragon de la lune, un flash pop-art quand Drax est atteint par le crachat de Noh-Varr). Je suis épaté par la proposition, la variété des effets, leur justesse. On en prend plein les yeux mais toujours intelligemment, on peut décortiquer chaque plan, c'est du solide. Et les couleurs de Federico Blee et du studio Guru mettent ça en valeur, en privilégiant ds tons clairs, légers, qui tranchent avec ce que la série a pu proposer avant.

Vous pouvez y aller confiants, ces Guardians of the Galaxy, c'est de la bombe.