samedi 28 mars 2020

HIDDEN SOCIETY #2, de Rafael Scavone et Rafael Albuquerque


Le premier épisode de Hidden Society m'avait beaucoup plu et je vous avais encouragés à vous le procurer. Le deuxième procure le même sentiment. Rafael Scavone et Rafael Albuquerque racontent leur histoire sur un rythme toujours aussi soutenu, en s'appuyant sur des personnages accrocheurs et une intrigue simple mais efficace. On sait déjà qu'on aura envie que l'aventure se prolonge au-delà des quatre chapitres prévus.


Menacé par Mercy, le sorcier Ulloo raconte les origines de la Société Secrète qu'il veut recomposer. Au début, un dragon terrible fut réveillé puis neutralisé par un premier groupe. Ulloo reste le dernier à protéger le monde de cette menace car ses alliés ont rendu les armes.


Ses ennemis sont la Fratrie de Nihil, dont les pouvoirs abolissent le libre arbitre chez ceux qu'ils possèdent, et qui ont le projet de réveiller le dragon. Pour s'assurer le concours de Mercy, il lui offre de la libérer du contrat passé avec Belial pour sauver son fils. Et Il confie le Livre des Sorts à Jadoo, dont il a bien connu le père.


Puis Ulloo téléporte le groupe à Catane, en Italie, dans un palais, qui sert de repaire à la Fratrie de Nihil. Leur arrivée est vite remarquée et ils sont assaillis par les fidèles. Orcus, le génie de Laura, les contient un temps.


Ullo déplace l'équipe sur le toit mais la Fratrie les y surprend. Elle réclame la reddition de Jaddo, Laura, Orcus et Mercy et que Ulloo les suive. Tous refusent et doivent affronter une bourrasque magique qui blesse Mercy.


Ulloo est privé de la parole, incapable de formuler un sort, et enlevé par la Fratrie sous les yeux impuissants de ses alliés. Mercy s'éclipse. Orcus prévient Jadoo que leur sort à tous dépend désormais de lui tandis que Laura se sert de sa vision magique pour trouver où Ulloo a été emmené...

En se contraignant à établir leur projet en seulement quatre épisodes, les deux Rafael - Scavone et Albuquerque - n'ont pas de temps à perdre en salamalecs. Il faut aller à l'essentiel, vite, mais en restant clair. Après avoir consacré le premier épisode à la présentation des héros, place à celle de la menace qui les a réunis.

Evoquer la nuit des temps, un dragon surpuissant et une fratrie maléfique n'a en soi rien d'original. Ce sont des clichés et les deux auteurs les assument comme tels. la proposition de Hidden Society n'est pas de révolutionner le genre, mais bien d'offrir un divertissement simple, efficace, abordable. De manière limpide, ce comic-book s'adresse à un jeune public (mais peut s'apprécier au-delà).

Et naturellement, c'est cette fraîcheur qui contrebalance l'aspect convenu des éléments qui forment le récit. De ce côté, en revanche, impossible d'être déçu car c'est très bien mené. Scavone développe son scénario en exposant rapidement et de façon accrocheuse tout ce qui le compose et Albuquerque le met en images avec une virtuosité jubilatoire, bien mieux exploitée que dans sa dernière collaboration avec Mark Millar.

C'est bien simple : on a affaire à un page-turner redoutable. A peine a-t-on découvert les origines de la Société Secrète qu'on rebondit sur la dernière scène du précédent épisode. Ulloo convainc Mercy de ne pas l'exécuter tout de suite, confie à Jadoo une mission particulière et téléporte tout le monde en Italie, en territoire ennemie. D'une manière ironique, on lit cela au même moment où l'Italie est devenue une contrée en proie à un ennemi terrible avec l'épidémie du COVID-19.

Les péripéties ne lèvent pas le pied et on a droit à des surprises comme la révélation exacte du lien entre les pouvoirs de Laura (via son camée) et ceux du génie Orcus (capable de se transformer en quelque chose de plus imposant qu'une peluche flottante). Ce qui séduit en fait le plus dans le groupe de héros de Hidden Society, c'est qu'ils sont tous des outsiders, pas vraiment des champions sur lesquels on miserait. Mais ensemble, ils deviennent un tout, chacun mettant en valeur l'autre, chacun incarnant une sorte de figure familière mais subtilement déviée (la tueuse, le jeune magicien, le vieux sorcier, le génie grognon, l'aveugle déterminée). C'est une variation du Scooby-gang, comme on en voit ici et là ponctuellement (dans Buffy et les vampires ou West Coast Avengers version Kelly Thompson, en passant par Runaways de Brian K. Vaughan).

Les méchants sont pour l'instant moins consistants, bien que Albuquerque leur donne un aspect très original et inquiétant. De même leur plan est un peu bateau. Mais ce n'est pas très grave car ici le voyage, l'aventure compte plus que son terme, il s'agit de nous distraire et le récit y parvient sans problème.

Il faut dire que le graphisme est formidable. Chaque page déborde d'énergie, les personnages sont très expressifs et distincts les uns des autres, le découpage est varié et ultra-performant. Albuquerque est un dessinateur épatant, qui a cette facilité naturelle propre aux grands. Parfois, on peut lui reprocher de se dépenser sur des projets mineurs ou en compagnie de scénaristes un peu fumeux (comme Scott Snyder avec lequel il a collaboré longuement pour American Vampire). Mais ici, il donne sa pleine mesure et évoque, sans avoir le même style, l'esprit d'un Mike Wieringo.

Bref, je répète ce que j'ai dit : Hidden Society est un vrai sleeper, un régal. Si vous le suivez en mensuel, vous le savez déjà. Sinon, patientez un peu pour le TPB. En tout cas, soutenez cette mini, car elle mérite d'être développée.

FOLKLORDS #5, de Matt Kindt et Matt Smith


Avec ce cinquième épisode s'achève Folklords... Quoique, à l'évidence, une suite serait dans les tuyaux quand on considère la fin de chapitre, qui, comme une boucle, renvoie le lecteur au début de l'aventure à la faveur d'un twist malicieux. Matt Kindt et Matt Smith concluent en beauté, mais forcément aussi de manière frustrante ce tour de piste.


Ansel, accompagné de Vilaine, retrouve l'elfe Archer dans une des parties de la Bibliothèque des Livres Bannis. Les deux amis se disputent, Ansel estimant que Archer l'a trahi en le livrant à Greta dans la forêt. Mais Vilaine les interrompt.


En effet, les bibliothécaires viennent les arrêter et les conduisent dans une grande salle où ils sont reçus par John Ronald, le Folklord. Originaire de la même dimension que Ansel, il est celui qui a créé celle où il a grandi et en a rédigé les lois.


Ronald entend maintenant corriger cet anomalie que représente Ansel. Il abat Vilaine avant d'être assommé par Demure, l'amie d'Ansel qui l'a suivie en secret et s'est infiltrée parmi les bibliothécaires. Mais Ronald se ressaisit et lui tire dessus.


Ansel se jette sur Ronald mais il échoue à le vaincre. Il faut l'intervention opportune de Sal, le bibliothécaire banni, qui brise le cou du Folklord, pour le sauver. Vilaine, grâce à sa côte de maille, et Demure, grâce à son armure, ont survécu.


Sal se proclame nouveau directeur de la Bibliothèque en dénonçant les mensonges de Ronald, puis livre l'adresse des autres Folklords à Ansel, qui a pour mission de les éliminer. Dans notre monde, une jeune fille, habillée comme dans la dimension de Ansel, se précipite dans une bibliothèque pour trouver un moyen de le rejoindre dans sa quête...

Parfois il est bon d'être frustré par une lecture : c'est le signe qu'on en veut davantage, qu'on souhaite une suite, et cela, Matt Kindt l'a bien compris en concluant cet épisode de Folklords. Nous quittons Ansel, Vilaine et Demure alors qu'ils s'engagent dans une nouvelle quête tandis que dans notre monde, une autre héroïne veut les rejoindre.

Cela suggère qu'il y aura un Acte II à cette histoire. Mais surtout, la composition du récit prend la forme d'une boucle en nous montrant un personnage inédit démarrer la même démarche que celle empruntée par Ansel dans le premier épisode.

Entre temps, le périple de Ansel a atteint son pic : nous l'avions laissé, il y a un mois, dans le labyrinthe de la Bibliothèque des Livres Bannis, perdu dans les tranchées où il retrouvait son ami, l'elfe Archer. Kindt semblait dire que se perdre dans les fictions revenait à se perdre tout court, à ne plus distinguer ce qui est vrai de ce qui est faux. C'était une sorte d'épreuve de vérité ultime.

Mais le commentaire méta-fictionnel prend une tournure à la fois plus convenue et plus efficace quand on apprend avec le héros et ses compagnons que le maître d'oeuvre est un auteur mégalomane, échappé de la même dimension que Ansel, et qui entend réparer le déraillement de sa fiction en éliminant ce dernier (et tous ceux qui l'ennuient). John Ronald, c'est à la fois la figure du scénariste tout-puissant et un fantoche, un marionnettiste et le pantin de sa propre comédie : il s'est, lui, littéralement perdu en se croyant immortel, en s'arrogeant le droit de vie et de mort non pas sur des personnages imaginaires mais des êtres de chair et de sang (puisque Matt Kindt a réussi à nous les rendre attachants).

Il faut, de façon quasi-freudienne, tuer le père en tuant John Ronald, qui ressemble plus à un tyran, un chef de secte (formée par les bibliothécaires) qu'à un aimable conteur, ménageant une belle fin aux protagonistes. Ceux-ci sont les grains de sable qui ont provoqué l'enrayement de sa belle machine fictionnelle. Il est ironique que ce soit de la main d'un bibliothécaire banni que Ronald trouve la mort - bien qu'on puisse douter que Sal soit un meilleur chef que lui.

Matt Smith illustre cela avec sa facilité habituelle. Pour moi qui ne connaissait pas cet artiste, c'est une révélation et j'espère, dans l'avenir, pouvoir me procurer d'autres de ses livres. Il a un trait simple mais expressif, et un vrai talent de narrateur. Son découpage est limpide, fluide, ses finitions soignées.

Surtout, ce qui épate, c'est la modestie de Smith. Il sert le récit, humblement. Pourtant, si vous en avez l'occasion ou la curiosité, allez visiter son compte Twitter : il y poste en abondance ses recherches pour trouver le look des personnages, le design des décors. On peut alors constater avec quelle minutie il prépare son ouvrage et surtout mesurer que derrière cette simplicité, il y a un travail fourni.

Souhaitons en tout cas que notre intuition se confirme et que les deux Matt concoctent une suite à cette mini-série très bien fichue.

vendredi 27 mars 2020

X-MEN #9, de Jonathan Hickman et Leinil Yu


Le précédent épisode de X-Men tranchait avec le format mis en place par le scénariste Jonathan Hickman puisque la fin était ouverte et appelait une suite. On reprend donc là où on avait laissé l'histoire avec l'Oeuf Roi, les Broods, les Shi'ar, les Starjammers et les Kree. Mais en vérité Hickman surprend encore, déplaçant subtilement le coeur de l'intrigue. Au dessin, Leinil Yu revient et confirme qu'il est de plus en plus en forme.


Il y a huit milles ans, les Kree ont capturé des spécimens Broods pour les étudier. Ils comprennent leur structure sociale matriarcale et leur capacité de nuisance. Afin de contrôler cette race et de s'en servir plus tard, ils conçoivent un Oeuf Roi.


Aujourd'hui. L'accusateur Kree qui détient les Starjammers en otage marchande avec Sunspot pour récupérer cet Oeuf Roi. Mais Roberto da Costa lui envoie la garde impériale Shi'ar, contre laquelle les Kree ont conspiré.


Gladiator tue l'accusateur Kree. Les X-Men approchent au même moment du vaisseau de ce dernier, poursuivis par les Broods, à cause de l'Oeuf Roi qu'ils ont récupéré. Alors qu'ils demandent l'aide des occupants du vaisseau, le leur est touché par les Broods.


La garde impériale et les Starjammers se crashent avec les X-Men sur une planète proche et se réfugient dans une grotte. Les Broods atterrissent et leur armée investit la cachette de leurs cibles. Jean Grey prévient que les extraterrestres feront tout pour récupérer l'Oeuf Roi.


Shi'ar, Starjammers et X-Men sont unis dans la bataille qui s'ensuit. Malgré leur puissance de feu, ils sont submergés par le nombre des Broods. Pourtant le combat cesse brusquement lorsque Broo, l'allié des X-Men, avale le contenu de L'Oeuf et devient de facto le Roi des Broods.

Avec le diptyque qui s'achève dans ce numéro, Jonathan Hickman s'inspire largement de la saga des Broods, écrite par Chris Claremont et dessiné par Paul Smith et Dave Cockrum dans les années 80. Les aventures spatiales des mutants devenaient alors un classique du genre, même si la référence aux films Alien était flagrante. 

Sur ce plan, ces deux épisodes forment un tout très agréable et efficace car tous les ingrédients y sont réunis. Il y a un casting abondant, de l'action, du grand spectacle, des ramifications profondes. Hickman pioche dans tous les compartiments en convoquant les Shi'ar, les Kree, les Starjammers et une frange bien particulière des X-Men (les trois frères Summers, Jean Grey). Difficile de faire la fine bouche.

Il y a fort à parier que Hickman se resservira de tout cela (le prochain event Marvel suggère même, dans des visuels en forme de teasers, que les mutants vont s'allier aux Skrulls et aux Kree contre les humains dans ce récit cosmique).

Pourtant, si tout l'épisode se déploie pour aboutir à l'ultime page et à un savoureux retournement de situation, qui fait de Broo un personnage incroyablement important désormais, la manoeuvre de Hickman est intéressante d'abord pour ce qu'elle raconte dans la marge, voire hors champ.

Le flash-back qui ouvre ce numéro, situé huit mille ans dans le passé, révèle comment les Kree ont oeuvré pour, le moment venu, bouleverser la société des Broods et les manipuler contre leurs adversaires Shi'ar. Tout cela impacte la suite de l'épisode où, en fin de compte, les X-Men impliqués sont davantage spectateurs qu'acteurs. Car en vérité l'affaire les dépasse en les précédant.

C'est assez culotté mais en même temps habile car, après avoir, durant sept épisodes, présenté les mutants comme une force nouvelle, mieux organisée, avec un poids inédit sur l'échiquier terrestre, cette histoire les redéfinit comme des pions dans une stratégie à très long terme chez les Kree. C'est cela aussi qui autorise à penser que Hickman reviendra sur ce point car on imagine mal Charles Xavier négliger sa communauté sur un plan extra-terrestre (et certainement est-ce pour cela que l'event à venir, Empyre, communique sur l'alliance des X-Men avec les Kree et les Skrulls contre les héros humains - à moins, bien entendu, qu'il ne s'agisse d'une ruse pour neutraliser ces deux peuples s'ils agressent Krakoa).

Même si j'ai d'abord regretté que Mahmud Asrar ne dessine pas la seconde partie de ce récit, je dois reconnaître que Leinil Yu livre une très bonne prestation. Il est, c'est vrai, à son aise dans ce registre, habitué à l'exercice après avoir illustré des sagas (cf. Secret Invasion). D'une certaine manière, les contraintes de ce type d'histoire lui permettent de compenser ses faiblesses habituelles.

Ainsi, on reproche souvent à Yu (avec raison) de ne pas rendre ses personnages très expressifs. Mais dans ce contexte, où le plan large l'emporte franchement sur le plan rapproché, il est inutile d'être subtil. Ce qu'on attend de l'artiste, ce sont des images puissantes, grandioses, et le scénario lui en fournit. 

Par ailleurs, Yu excelle dans le dessin des Broods, qui, sous son crayon, apparaissent vraiment terrifiants, et plus encore quand ils évoluent en nombre. On saisit sans effort la menace terrible qu'ils sont, et lorsque, dans la dernière partie de l'épisode, les héros sont acculés dans une grotte par ces affreuses bestioles, le danger est sensible.

Grâce aux couleurs de Sunny Gho, Yu peut alors lâcher les chevaux et produire une pleine page spectaculaire où la bataille fait rage. Gho utilise à bon escient une palette variée pour que le lecteur apprécie les pouvoirs en action des Shi'ar, des X-Men, des Starjammers. Le plan est redoutablement efficace et concis, tout en restant lisible.

Il y a un vrai plaisir à lire cette histoire, qui ne traîne pas en longueur tout en étant remarquablement dense. Hickman donne une sorte de masterclass express sur la géopolitique galactique, quitte à reléguer au second rang les X-Men. Mais gageons que cela portera ses fruits dans le futur car le scénariste ne fait jamais rien au hasard (même si on espère qu'il reviendra, le moment venu, sur le personnage de Vulcain dont la présence n'émeut guère Gladiator alors que Gabriel Summers a autrefois mis à genoux l'empire Shi'ar en tuant sa reine). 

jeudi 26 mars 2020

GIANT-SIZE X-MEN : NIGHTCRAWLER, de Jonathan Hickman et Alan Davis


Deuxième Giant-Size X-Men (sur cinq), celui-ci se concentre sur Nightcrawler (Diablo en vf). Du moins en apparence car Jonathan Hickman lui adjoint quelques autres (jeunes) mutants pour une variation mouvementée sur le thème de la maison hantée ("Haunted Mansion" comme s'intitule ce one-shot). Pour l'occasion, le scénariste a convaincu Alan Davis de reprendre son crayon : c'est heureux puisqu'il est un de ceux qui savent le mieux animer Kurt Wagner. Le résultat est agréable mais, aussi, hélas ! un peu en deçà des espérances.


Prévenus d'une anomalie dans l'ancien Institut Xavier pour surdoués, Diablo, Magik, Cypher, Eye-Boy et Lockheed sont chargés de l'enquête. L'ancien manoir des X-Men paraît vide mais une présence est flairée par Lockheed qui part à sa poursuite pour la brûler.


Diablo calme le petit dragon avant de remarquer ce qui ressemble à Rachel Summers dans son costume de chien de meute. Il la rattrape dans un tunnel aux parois organiques contre lesquelles s'appuie Cypher. Doug Ramsey disparaît, et Rachel s'échappe à nouveau.


Cypher découvre un globe gardé par des Sidri, des arthropodes extraterrestres et entre en communication avec eux grâce à son bras cybernétique. Diablo et ses partenaires arrivent dans le sous-sol du manoir et sont encerclés par des Sidri.


Une bataille éclate. Diablo envoie Magik à la recherche de Cypher tandis qu'il se charge d'évacuer Eye-Boy. Ilyana Rasputin découvre Doug Ramsey et Warlock en train de négocier avec les Sidri protégeant le globe et le ramène auprès des autres.


Dans un cocon, ils découvrent Lady Mastermind qui a été capturée par les Sidri en voulant gagner Krakoa via le portail du manoir. En échange de sa liberté, Cypher a convenu avec les Sidri qu'ils occupent le manoir et en protègent l'accès.

Après le premier Giant-Size, sublime exercice de style centré sur Jean Grey and Emma Frost, on attendait beaucoup de ce nouveau one-shot avec Nightcrawler en vedette. Pour ma part, c'est le X-Man que je préfère, depuis longtemps (même si, ado, je lui préférai comme beaucoup Wolverine). Ajoutez à cela que l'épisode est dessiné par le grand Alan Davis et l'excitation était à son comble.

Pourtant, on sort de ce numéro insatisfait, frustré.

Attention, ce n'est pas mauvais, loin s'en faut. Jonathan Hickman profite de l'occasion pour livrer une histoire très rythmée, dynamique, riche en action et en mystère. Il lève aussi une part du voile sur un personnage important de sa refonte de la franchise (Cypher, un de ses favoris). Mais alors d'où vient qu'on n'est pas comblé ?

D'abord, contrairement au précédent Giant-Size, où Jean Grey et Emma Frost étaient vraiment un premier plan, celui-ci voit Diablo partager l'affiche avec d'autres personnages. Jonathan Hickman a pourtant fait de Kurt Wagner un mutant important : il siège à la table du Conseil de Krakoa, et ambitionne de fonder une religion (comme on l'a vu dans X-Men #7). Mais il apprécie aussi beaucoup les Nouveaux Mutants.

Voilà donc Diablo flanqué de Cypher, Magik et le méconnu Eye-Boy (sans oublier Lockheed). On se demande ce que fait là Magik pendant une bonne partie du numéro (elle n'intervient de manière décisive que dans une des dernières scènes en récupérant Cypher). Quant à Eye-Boy, on aurait très bien pu faire sans. Tout ça pour dire que Diablo n'avait pas besoin d'une pareille escorte.

Cependant, le rôle dévolu à Cypher est déterminant à plus titre : c'est lui qui va apporter la solution à l'intrigue et une scène révèle un des secrets bien gardés de Doug Ramsey - en l'occurrence, on découvre que son bras cybernétique est la forme concentrée de Warlock et que celui-ci réside donc à Krakoa à l'insu de tous. Pourquoi Cypher le cache-t-il ainsi ? Hickman seul a la réponse mais il est évident qu'il la garde pour plus tard (toutes les hypothèses sont ouvertes et certains commentateurs prédisent que Warlock empoisonne peut-être Krakoa avec le techno-virus des Phalanx, ce qui collerait avec le futur de la neuvième vie de Moira McTaggert comme on l'a vu dans Powers of X.).

Ce qui semble récurrent, c'est le côté enquête de chaque Giant-Size : après avoir visité l'esprit de Tornade, ce retour au manoir de Westchester a tout d'un jeu de piste avec à la clé l'apparition d'un élément inédit (ici, la réapparition de Lady Mastermind, dont les pouvoirs mentaux créent des illusions guidant le groupe de mutants détectives). Diablo fait figure de guide pour ses jeunes compagnons et Hickman s'amuse à adresser des clins d'oeil aux fans de Excalibur version Claremont avec une fausse Rachel Summers habillée comme un chien de meute. On aurait aimé que le scénariste pousse le bouchon encore davantage en convoquant Captain Britain (Brian Braddock) et Kitty Pryde : malheureusement, le premier a légué son titre à Betsy Braddock dans la série Excalibur actuelle écrite par Tini Howard et la seconde a été tuée par Gerry Duggan dans Marauders.

Cette envie de renouer avec l'équipe d'origine est d'autant plus forte que le numéro est dessiné par Alan Davis. L'artiste ne cache plus guère son désintérêt pour les comics, alors que Marvel ne lui accorde plus le droit de développer ses projets. Quand il dessine encore, ce manque de motivation est sensible, au point qu'il a délégué cette tâche à Paul Renaud pour la mini Tarot qu'il a écrite. Terrible gâchis.

Sans doute la perspective d'animer à nouveau Diablo (mais aussi Cypher et Magik, qu'il dessina pour un fameux Annual de X-Men il y a longtemps) lui a-t-il suffi pour accepter d'illustrer le script de Hickman. Ce dernier a su jouer sur les forces de Davis dans une histoire efficace.

On notera que Davis s'encre lui-même pour l'occasion, ce qui est exceptionnel. Et il s'en sort très bien. Le découpage est fantastique d'énergie, et la forme des vignettes parfois indique clairement que le dessinateur a eu le loisir de faire ce qu'il voulait (alors que les scripts de Hickman sont réputés pour leur précision). Une double page comme celle qui figure ci-dessus dans mon résumé et où l'on voit Diablo, Lockheed, Magik et Eye-Boy batailler contre des Sidri rappelle à quel point Davis est un maître en la matière, avec un trait d'une souplesse fantastique, un art consommé de la composition. Et lorsqu'il croque Lady Mastermind, il lui prête des formes pulpeuses irrésistibles, comme il sait le faire, sans vulgarité.

Ce qui manque à cela, c'est une tension, une folie. L'exploration psychique de Jean Grey et Emma Frost avait quelque chose de très référentiel (en renvoyant au célèbre épisode de Grant Morrison et Frank Quitely), mais se distinguait justement par son parti-pris (quasiment muet) radical. Ici, c'est bien plus sage et le twist final n'a pas la même force que le danger qui menace Tornade. On s'en doutait un peu, mais Hickman a des difficultés à se lâcher complètement alors que, seul aux commandes, Davis aurait sublimé ça, narrativement comme il le fait visuellement.

Il faut donc à la fois s'en contenter, et une fois les prochains Giant-Size (consacrés à Magneto, Fantomex, et Tornade) parus, on situera mieux encore la place qualitative de celui-ci.

mardi 24 mars 2020

LOVE, de Gaspar Noé


Aujourd'hui, la température monte puisque je vous propose une critique de Love, un film écrit et réalisé par Gaspar Noé en 2015, que j'ai regardé sur Netflix. Pourquoi cette annonce ? Parce qu'il s'agit d'un long métrage avec des scènes de sexe non simulées. Mais ce n'est pas un film pornographique. C'est même le contraire puisqu'il s'agit d'une histoire d'amour, une passion folle et destructrice, réservée bien entendu à un public averti.

Murphy et Electra (Karl Glusman et Aomi Puyok)

Murphy est un jeune homme américain en résidence à Paris. Il étudie le cinéma et veut devenir réalisateur, avec l'ambition de produire un film s'amour qui n'occulte pas l'aspect sexuel d'une romance. Il rencontre la belle Electra, étudiante aux Beaux-Arts et collaboratrice d'un galériste, dans un jardin public. C'est le coup de foudre.

Murphy et Electra (Karl Glusman et Aomi Puyok)

Murphy et Electra sont pourtant bien différents. Lui est un amoureux possessif. Elle est un esprit libre qui veut expérimenter toute forme d'amour. Elle convainc Murphy de la suivre sur cette pente glissante en se donnant d'abord exclusivement à lui.

Electra et Murphy (Aomi Puyok, Karl Glusman)

Murphy est fou d'Electra et cherche à la combler sexuellement tout en faisant des projets sur le long terme tandis qu'elle vit le présent intensément et n'a pas renoncé à pimenter leur vie sexuelle. Il accepte toutes sortes de folies en en souffrant. Car Murphy est jaloux comme lorsqu'il apprend que Electra a eu une liaison avec son chef avant de le rencontrer. Lors d'un vernissage à la galerie où elle travaille, il blesse d'ailleurs l'employeur de la jeune femme et il finit au poste de police.

Electra, Omi et Murphy (Aomi Puyok, Klara Kristin, Karl Glusman)

Electra en veut à Murphy mais reste avec lui même après qu'il l'ait à son tour trompé et insulté puis supplié de le revoir. Leur relation s'apaise provisoirement avant que Murphy interroge Electra sur son fantasme ultime et qu'elle lui explique vouloir coucher avec une femme. Le couple rencontre peu après leur nouvelle voisine, Omi, qu'ils invitent à sortir avec eux.

Murphy, Electra et Omi (Karl Glusman, Aomi Puyok, Klara Kristin)

La soirée se termine chez Murphy et Electra et le trio couche ensemble. Le week-end suivant, Electra s'absente et Murphy, seul chez lui, est invité par Omi, chez elle. Ils font l'amour et durant leur rapport sexuel, le préservatif du jeune homme se déchire. Au retour d'Electra, elle devine qu'il la trompée. La crise éclate, mais Murphy, sur le conseil du policier qu'il l'avait interrogé après son agression contre le galériste, convainc la jeune femme de tenter l'expérience d'un club échangiste. Cela signera la perte de leur couple car Murphy ne supporte pas de voir Electra prendre du plaisir avec d'autres hommes.

Murphy (Karl Glusman)

Electra et Murphy conviennent de faire une pause. Omi annonce à Murphy qu'elle est enceinte de lui. Ils s'installent ensemble et ont un petit garçon. Deux ans passent. Le jour de l'An, Murphy reçoit un appel de la mère de Electra dont elle est sans nouvelles. Durant une journée éprouvante, Murphy se remémore leur histoire chaotique et finit par en arriver à la conclusion que la jeune femme s'est suicidée. Il craque nerveusement en mesurant qu'il l'a perdue définitivement alors qu'il l'aimait plus que Omi.

Ce résumé retrace le récit de manière linéaire alors que la narration du film ne l'est pas. Il commence au matin du 1er Janvier quand Murphy est réveillé par son fils. Il a la gueule de bois, à cause d'une prise excessive d'alcool et de drogues, et découvre peu après le message laissé sur le répondeur de son téléphone portable par la mère de Electra.

En vérité, avec cette ouverture, Gaspar Noé annonce le programme : Love est l'histoire d'une plongée en enfer jusqu'au breakdown du héros, dans une scène finale poignante. Pendant plus de deux heures cinq, on va et vient entre présent et passé, au fil de flash-backs aléatoires, et on recompose cette romance comme un puzzle cérébral et sensuel.

Ce dispositif donne toute son originalité au long métrage, soulignant l'intensité de son propos, la puissance crue de ses scènes sexuelles, et l'émotion inattendue, imprévisible qui nous saisit. Car Love est d'abord une expérience et ne s'en cache pas, comme tous les projets du cinéaste argentin.

Noé est un véritable trublion du cinéma français. Apparu en même temps que Matthieu Kassovitz ou Jan Kounen, sa démarche a toujours été plus radicale, sans concessions. Chacun de ses longs métrages s'appuie sur un concept simple, une trame élémentaire, et se déploie pour éprouver le spectateur, pour tester les limites de sa mise en scène. Il y a une part de provocation complaisante dans cette volonté de "choquer le bourgeois", mais aussi une volonté de proposer un objet sensible, unique.

Comme son héros, Murphy, Noé est un admirateur absolu de Kubrick et de 2001 : L'odyssée de l'espace, le trip ultime des cinéphiles. Mais contrairement au génie new-yorkais, qui ne perdait jamais de vue que son oeuvre devait être accessible au plus grand nombre, Noé souhaite avant tout pousser le public dans les cordes et concevoir le film comme un ballon d'essai visuel et narratif, une sorte de produit de laboratoire.

Pourtant, initialement, Love avait une ambition différente car Noé désirait le tourner avec des stars. Initié en même temps qu'Irréversible (sans doute son opus le plus fameux), il l'a proposé au couple Vincent Cassel-Monica Bellucci qu'il venait de diriger. Mais, craignant de trop s'exposer, ils refusèrent l'offre. Le cinéaste s'est donc tourné vers des inconnus, rencontrant ses acteurs dans des clubs ou lors de castings sauvages, mais évitant de recruter des professionnels du cinéma pornographique.

Car, incidemment, le film pose la question de la limite entre cinéma conventionnel et cinéma pornographique. Or si Love échappe à la seconde catégorie, malgré ses scènes de sexe explicites et non simulées (comme on peut le vérifier dès la première scène du film où Murphy et Electra se masturbent l'un l'autre), c'est bien parce que l'histoire ici existe au-delà du prétexte de montrer cela et échappe à toute représentation obscène.

L'intrigue est minuscule, certes - Noé a affirmé que le script ne dépassait pas sept pages. On peut même juger que les cent-vingt quatre minutes qu'il prend pour la raconter sont un peu longues par moments. Mais passé un début laborieux, on se laisse entraîner dans cette romance complexe, chaotique, on partage les tourments de ses personnages, et on se laisse émouvoir par le désarroi grandissant de Murphy.

Je n'irai pas jusqu'à prétendre qu'on en oublie le réalisme sans fard, bien que la forme soit très soignée (avec un superbe travail sur la lumière et le montage), du film. A chaque fois qu'on assiste à une pénétration par exemple, on a conscience de regarder quelque chose d'inhabituel pour un film "normal". Mais Noé ne sombre jamais dans des plans complaisants comme le porno en abuse pour prouver la performance de ses intervenants, susciter l'excitation de ses spectateurs ou tout montrer comme pour prouver que ce n'est pas du chiqué. 

Certes, c'est clair - on assiste à des fellations, des sodomies, une orgie, une partie à trois, etc - mais visuellement les images sont toujours impeccables, baignant dans un clair-obscur et des tons rougeoyants, chauds, très beaux. Noé fait tout pour éviter le glauque et accomplit l'ambition de Murphy de réaliser un film qui parle d'amour en montrant des actes sexuels sans obscénité mais parce qu'ils font partie de la vie amoureuse.

Tout cela ne serait pas totalement convaincant sans les acteurs justement, qui ne devaient pas jouer comme des professionnels du "X". Le couple formé par Karl Glusman et la superbe Aomi Pluyok réussit à convaincre aussi bien dans les parties classiques que dans celles plus intimes. Ce ne sont pas des performers saisis par la caméra du réalisateur qui se débrouillent plus ou moins avec la comédie (au sens de l'interprétation classique), ce sont des acteurs solides, émouvants, intenses. Glusman compose un yankee torturé avec beaucoup de force. Aomi Puyok dégage une sensualité fragile et nuancée. Plus en retrait, Klara Kristin est aussi très bien en jeune femme manipulatrice. Ces trois-là méritent d'être considérés avec respect et non comme des "bêtes de foire" honteuses parce qu'ils jouent vraiment, même s'ils donnent plus que la normale.

Amateurs de branlette, voyeurs, curieux mal intentionnés, passez votre chemin. Love est bien plus qu'un format long échappé de Pornhub. On en sort bouleversé, remué, plus que soulagé. Derrière son éternel sourire de garnement, Gaspar Noé peut se réjouir d'avoir réussi à nous emmener là où on ne s'attendait pas à aller.

lundi 23 mars 2020

UN JOUR DE PLUIE A NEW YORK, de Woody Allen


Après bien des rebondissement (sur lesquels je vais essayer de ne pas m'appesantir), le quarante-neuvième film de Woody Allen est enfin sorti l'an dernier. Et il y a quelque chose de proprement miraculeux dans cet long métrage car Un Jour de pluie à New York surprend par sa fraîcheur. C'est une charmante comédie sentimentale par un cinéaste de plus de quatre-vingts ans dont le talent et la verve sont intacts. Il aurait été dommage d'en être privé.

Ashleigh et Gatsby (Elle Fanning et Thimothee Chalamet)

Jeune couple d'étudiants, Ashleigh et Gatsby se rendent à New York pour un week-end romantique préparé par le jeune homme. Elle travaille pour le journal du campus et a réussi à décrocher une interview avec le cinéaste Richard Pollard. Lui est issu d'une famille bourgeoise et s'adonne au jeu au détriment de ses études.

Shannon et Gatsby (Selena Gomez et Thimothee Chalamet)

Lors de son entretien avec Pollard, celui-ci invite Ashleigh à voir en exclusivité son dernier film lors d'une séance privée. Cela oblige la jeune femme à annuler son déjeuner avec Gatsby. Contrarié, il erre dans Manhattan jusqu'à ce qu'il tombe sur Shannon, la soeur d'un ancien flirt, qui tourne dans un court métrage. Gatsby est réquisitionné par le réalisateur pour remplacer l'acteur qui devait donner la réplique à la jeune femme.

Ted Davidoff, Ashleigh et Richard Pollard (Jude Law, Elle Fanning, Liev Schrieber)

Pendant ce temps, Pollard, insatisfait de son film, abandonne Ashleigh à son scénariste, Ted Davidoff, et disparaît. Ils partent à sa recherche en voiture lorsque Ted surprend sa femme quittant un hôtel avec son amant. Gatsby se rend chez son frère aîné chez lui et apprend qu'il songe à annuler son mariage. Il se retire, ne voulant pas être mêlé à cette histoire, et retrouve par hasard Shannon qu'il accompagne au Metropolitan Museum of Art. Là, il tombe sur son oncle et sa tante qui lui rappelle que sa mère donne une soirée.
Ashleigh et Francisco Vega (Elle Fanning et Diego Luna)

Après avoir assisté à la dispute entre Davidoff et son épouse, Ashleigh échoue avec le scénariste dans les studios d'un tournage. Ils se séparent pour traquer Pollard mais elle rencontre alors le séduisant acteur Francisco Vega. Ils partent ensemble pour son penthouse sous les flashes des journalistes qui la présentent ensuite comme sa dernière conquête. Gatsby assiste à la scène devant la télévision du bar de l'hôtel où il attend Ashleigh et croit qu'elle vient de le laisser tomber.

Ashleigh et Gatsby (Elle Fanning et Thimothee Chalamet)

Gatsby remarque alors Terry, une sublime call-girl qu'il paie pour l'accompagner à la soirée connée par sa mère. Vega emmène Ashleigh chez lui et la fait boire. Mais quand ils sont sur le point de passer au lit, la fiancée du comédien surgit et Ashleigh est obligée de filer à l'anglaise, seulement vêtue de ses sous-vêtements et d'un imperméable sous une pluie battante. Chez sa mère, Gatsby a une discussion avec celle-ci, qui a reconnu la profession de Terry, ayant elle-même été prostituée avant de se marier.

Shannon et Gatsby (Selena Gomez et Thimothee Chalamet)

Ashleigh retrouve finalement Gatsby à l'hôtel après qu'ils aient traversé cette folle journée. Ils s'endorment, épuisés. Le lendemain, ils se baladent en calèche dans Central Perk. Gatsby comprend que lui et Ashleigh ne sont pas faits pour rester ensemble. Il lui laisse de l'argent pour qu'elle rentre et court retrouver Shannon.

Comme je le disais plus haut, je vais tenter de ne pas être trop long concernant les coulisses mouvementées de la sortie de ce film, même s'il le semble nécessaire d'y revenir. Pourquoi ? Parce que A Rainy Day in New York est devenu, à son corps défendant, le symbole de l'époque.

Depuis presque trente ans, Woody Allen subit les accusations d'une de ses filles, Dylan, au sujet d'attouchements sexuels. L'affaire est délicate mais ce que beaucoup omettent de préciser, c'est que le cinéaste en a répondu devant la justice et a été blanchi. Pourtant, ça ne suffit pas à l'innocenter et Mia Farrow, son fils Ronan (qui a révélé les méfaits du producteur Harvey Weinstein) et Dylan continuent régulièrement de l'accabler, même si d'autres de ses enfants adoptifs (comme Moses, présent lors des supposées agressions) défendent leur père.

Le mouvement #Meetoo a relayé abondamment les déclarations de Mia, Ronan et Dylan Farrow, au mépris des décisions de la justice, et contribué à faire de Woody Allen un pervers sexuel. L'ultime conséquence de tout cela a abouti à la rupture du contrat qui liait le cinéaste à Amazon, qui produisait ses derniers films (Allen a depuis porté plainte contre l'entreprise et trouvé de nouveaux financiers). Mais, détenant les droits d'exploitation d'Un Jour de pluie à New York, Amazon a refusé de le sortir en salles aux Etats-Unis et a bloqué sa commercialisation dans d'autres pays.

Allait-on un jour voir ce long métrage en France ? Ce fut chose faîte l'an dernier, dans un climat délétère car on a ici et là, dans notre pays, estimé que ce n'était pas souhaitable d'aider un "pédophile" (même si, encore une fois, Allen a été blanchi).

S'il me paraît important de rappeler cela, ce n'est pas seulement parce qu'il faut séparer l'homme de l'artiste, mais parce que cela permet d'apprécier les conditions dans lesquels une oeuvre peut être vue. Et aussi parce que, à la justice des tribunaux, s'est substituée une justice des réseaux sociaux et des associations dangereuse, qui s'empresse, sans formalités, de lyncher des artistes sur la foi d'accusations ayant valeur de condamnations. On en a eu la confirmation lors de la récente cérémonie des César où Roman Polanski a fait l'objet d'une campagne haineuse, flirtant ignoblement avec l'antisémitisme.

Que la parole des victimes, avérées ou présumées, se soit libérée et soit prise en compte, c'est très bien. Qu'elle soit la seule à compter, ce n'est tout simplement pas possible. Polanski comme Allen ont aussi leur mot à dire, leurs avocats ont le droit de plaider, et les juges la responsabilité de trancher. On ne règle pas des sujets pareils en quelques tweets ou dans des tribunes de presse. En outre, les cas de Polanski et Allen sont très différents.

Dans ces conditions, visionner sereinement un film devient compliqué et on est vite taxé de complicité dès lors qu'on choisit d'aller en salles, comme si on soutenait automatiquement des violeurs présumés au lieu de vouloir simplement profiter d'une oeuvre cinématographique. Si on ne doit écouter, lire ou regarder que des disques, livres ou films faits par des artistes irréprochables, il va falloir sérieusement purger les médiathèques et se priver de quelques chefs d'oeuvre - cela étant dit pour ceux qui n'acceptent pas l'idée de séparer l'homme de l'artiste (et qui, certainement, ont dans leurs bibliothèque/discothèque/vidéothèque des oeuvres tendancieuses).

Revenons à Woody Allen et surtout à son dernier opus. Ce qui est remarquable, c'est que dans un contexte hostile pareil, le cinéaste soit encore capable de concentrer ses efforts pour mener un tournage. Et aboutir à un résultat pareil.

Car Un Jour de pluie à New York ne souffre pas de la situation. C'est un long métrage étonnamment frais et lumineux, aimable et dénué de cynisme, un des films les plus charmants de Allen. Il s'agit d'une comédie pleine d'esprit, sur un principe proche de vaudeville, qui va et vient entre ses deux jeunes héros confrontés aux tourments de l'amour (le leur en premier) durant une journée.

L'issue de l'intrigue ne fait guère de mystère : Ashleigh et Gatsby n'ont rien à faire ensemble. Ils sont jeunes, beaux, insouciants, mais opposés. Lui est un fils de bonne famille, flambeur et charmeur. Elle est une abeille en pleine effervescence, plus préoccupée par sa passion cinéphile que ses affaires de coeur, même si l'expérience va entretenir sa confusion entre le réel et ses fantasmes de midinette. Quand Gatsby croise Shannon, elle se montre à la fois mordante avec lui et l'embrasse langoureusement l'instant d'après - mais "pour de faux" car il s'agit d'un baiser de cinéma. Lorsque Ashleigh est en présence de Richard Pollard, elle est une fan en face de son idole toute émoustillée, comme ensuite avec l'acteur Francisco Vega auquel elle succombe sans même penser à mal.

Le chassé-croisé de ces deux amants bute contre la réalité quand, à la faveur d'un quiproquo boulevardier, Gatsby croit que Ashleigh le trompe. Il s'enfonce dans la déprime, les mensonges, et sa mère le démasque en lui révélant un secret étonnant : dès lors, le jeune homme comprend qu'il ne peut plus tricher, ni avec les autres, ni surtout avec lui-même. Sa décision concernant sa relation avec Ashleigh peut paraître mufle, mais elle est en vérité juste pour lui et elle : il ne la rendra pas heureuse, et elle ne l'était déjà certainement pas auparavant. Il a besoin d'une compagne capable non pas de supporter son numéro mais de le ramener sur terre, ce que la pétillante Ashleigh est incapable. Cette dernière gagne aussi car elle n'aurait pas profité d'un zébulon pareil ni était en mesure de le raisonner.

Comme souvent chez Allen, le récit profite de ses seconds rôles et celui-ci en regorge. Le film est ponctué par les rencontres hasardeuses que font Ashleigh et Gatsby. Pollard et Davidoff sont des figures purement "Alleniennes" de créateurs en proie à l'insatisfaction, au doute, à la suspicion, déconsidérant leur travail en même temps qu'ils sont tourmentés par leur vie privée. Mais le cinéaste choisit d'en rire en forçant le trait et Liev Schrieber comme Jude Law s'en donnent à coeur joie (Law est particulièrement drôle en scénariste jaloux). Shannon jouée par une Selena Gomez à la fois tentatrice et distante est formidable (même si la petite histoire retiendra que, comme Rebecca Hall et Thimothee Chalamet, elle n'a pas fait preuve de solidarité avec son réalisateur, refusant d'assurer la promotion du film et reversant son cachet à des associations contre les abus sexuels - participant ainsi à la curée).

Toujours particulièrement à l'aise avec de jeunes comédiens depuis qu'il a pris sa retraite comme acteur, Allen dirige avec brio Elle Fanning. Une fois encore, la jeune vedette, au parcours irréprochable, illumine son rôle et le film avec son sourire irrésistible et la justesse de son interprétation, légère, acidulée, tourbillonnante. Elle est ici dans son élément et prouve l'étendue époustouflante de sa palette. Face à elle, Thimothee Chalamet déçoit un peu, car, comme d'autres avant lui, il a pris le parti de caler son jeu sur celui de Allen, tout en fébrilité. Ce n'est jamais payant car la comparaison ne profite jamais à l'imitateur. Par ailleurs, Chalamet ne sort pas vraiment de sa zone de confort, après Call me by your name ou Lady Bird (où il jouait peu ou prou la même partition mi blasé, mi caliméro).

Superbement photographié (par Vittorio Storaro) et sur des airs de jazz entraînants, cet opus est un régal. Woody Allen n'est pas mort, au contraire il est d'une jeunesse fascinante et d'une classe confondante.

   

dimanche 22 mars 2020

ONCE UPON A TIME... IN HOLLYWOOD, de Quentin Tarantino

Voilà un bail que je n'ai pas écrit de critiques de film pour ce blog, mais comme j'ai acheté peu de comics ces dernières semaines, je vous propose de revenir sur des sorties en salles de ces derniers mois, pour lesquelles j'avais pris des notes. Et si on démarrait par un des longs métrages qui ont fait l'événement en 2019 ?


Once Upon a Time... In Hollywood est le neuvième film de Quentin Tarantino (et donc, supposément, son avant-dernier). Longtemps mûri, ce projet a finalement vu le jour l'an dernier, présenté dans une version inachevée à Cannes, puis en salles en été, avant d'être sacré aux Oscar. Ce fut l'occasion pour moi de renouer avec ce cinéaste dont les derniers efforts m'avaient déçu/déplu.

Cliff Booth, Rick Dalton et Marvin Schwarz (Brad Pitt, Leonardo di Caprio et Al Pacino)

Février 1969, Hollywood. Rick Dalton est un acteur qui a connu son heure de gloire à la fin des années 50 dans une série télé, mais qui n'a pas réussi au cinéma. Aujourd'hui, sa carrière décline au point qu'un agent, Marvin Schwarz, lui propose de rebondir en partant tourner des westerns spaghetti en Italie. Cliff Booth, sa doublure, devenu son homme à tout faire, le pousse à accepter car il retrouverait ainsi, lui aussi, du boulot - il est tricard ici, car bien qu'ayant servi durant la guerre, il est soupçonné d'avoir tué sa femme.

Roman Polanski et Sharon Tate (Rafael Zawierucha et Margot Robbie)

Rick découvre qu'il a pour voisin Roman Polanski, avec qui il rêverait de tourner, et Sharon Tate, étoile montante. Ils se rendent à une fête donnée à la Playboy mansion en compagnie d'autres vedettes, et leur couple fait parler les invités. Le lendemain, Charles Manson se présente à la maison du cinéaste en pensant y trouver une connaissance puis repart en s'excusant.

Sharon Tate (Margot Robbie)

Sharon, en l'absence de Polanski, parti tourner en Angleterre, se rend dans un cinéma qui projette un film dans lequel elle a joué. Dans la salle, elle savoure les réactions enthousiastes du public à chacune de ses apparitions. Cliff dépose Rick au studio après qu'il ait pris une cuite dans la nuit. Résultat : il est incapable de donner correctement la réplique à ses partenaires.
Cliff Booth (Brad Pitt)

Cliff se balade dans Los Angeles et prend en stop une jeune ado hippie nommée Cat. Il la conduit jusqu'à un ranch où il a jadis tourné et qui appartient à un vieil ami. Mais l'endroit est désormais squatté par une communauté - la "famille" Manson. Cliff s'enquiert de la santé de son ami et repart après avoir rudoyé un des occupants, qui a crevé un pneu de sa voiture.
Trudi Fraser et Rick Dalton (Julia Butters et Leonardo di Caprio)

Au studio, Rick se ressaisit et prépare sa grande scène à côté d'une jeune actrice, Trudi Fraser. Elle prend de haut avant de montrer plus d'empathie quand elle remarque la détresse de son partenaire, qui lui confie les hauts et (surtout) les bas de sa carrière. Rick donne tout ce qu'il a une fois devant la caméra et impressionne Trudi et le réalisateur. Revigoré, il décide d'accepter l'offre de Schwarz de partir en Italie plutôt que de continuer à enchaîner les seconds rôles de méchants dans des séries télé.

Francesca Capucci et Rick Dalton (Lorenza Izzo et Leonardo di Caprio)

8 Août 1969, Hollywood. Rick Dalton rentre d'Italie après avoir enchaîné les tournages et s'être marié à Francesca Capucci, une starlette. Il a aussi décidé de se séparer de Cliff pour donner de l'air à son couple. Les deux amis conviennent de fêter ça par une nuit d'ivresse chez l'acteur. Chez les Polanski, Sharon, enceinte, attend le retour de Polanski avec son ami Jay Sebring. Des fidèles de Manson ont ciblé sa villa pour y commettre un massacre.

Cliff Booth (Brad Pitt)

Mais en remarquant la voiture des hippies dans son allée, Rick s'énerve et les chasse. Ils décident alors de revenir pour le tuer parce qu'il représente la violence à laquelle ils ont été exposés au cinéma. Hélas ! pour eux, ils tombent sur Cliff et son chien de garde qui leur règlent leur compte avant que Rick n'achève une des tueuses. Légèrement blessé, Cliff est transporté à l'hôpital ensuite. Sebring vient s'enquérir de la situation auprès de Rick et l'invite à prendre un verre avec lui et Sharon.

Comme beaucoup, j'ai vécu l'émergence de Quentin Tarantino dans les années 90 et sa consécration la décennie suivante comme une bouffée d'air frais dans le cinéma américain. Cet histrion débarquait avec son caractère volubile, sa gouaille intarissable, ses références B et semblait ringardiser tout Hollywood avec l'insolence des prodiges.

Pourtant, insensiblement, un malaise s'installait. Tout lui réussissait bien qu'on finit par s'en méfier. Quand on y réfléchissait, que nous disait de lui son cinéma ? Pas grand-chose en vérité. Cela restait jubilatoire à regarder mais aussi un peu creux, un peu trop fardé. Tarantino était devenu une marque - d'ailleurs on allait voir le dernier Tarantino sans se poser de questions, sans en attendre autre chose.

Et inévitablement, cela a fini, en tout cas chez moi, par provoquer de (cuisantes) déceptions. Pourtant, quand il s'est investi dans l'écriture et la réalisation de westerns, tout portait à croire qu'il allait y exceller. Mais ni Django unchained ni Les 8 Salopards ne m'ont ravi. Au contraire. Son espèce de remake de Django est inbitable. Et ses 8 Salopards est interminable et complaisant jusqu'à l'écourement. Il paraissait soudain bien loin le temps où QT régnait.

Si je devais situer la bascule, avec le recul, je dirais que ça s'est passé au moment de Kill Bill, volume 2, qui était vraiment très inférieur au Volume 1 (absolument dément). Après ça, Tarantino m'a semblé courir après sa légende, son efficacité.

Néanmoins, je conserve une affection pour deux de ses films mal-aimés ou moins cités : ainsi le bancal Inglorious Basterds demeure, pour moi, une réussite, qui préfigure d'ailleurs certains aspects de Once Upon a Time... In Hollywood, et surtout j'adore Boulevard de la Mort, ce machin improbable, authentique série B (ou C, voire Z), plus sincère et modeste que ses grandes oeuvres, mais surtout étonnamment aboutie.

Quand je suis allé voir Once Upon a Time..., j'étais donc méfiant, d'autant que les critiques étaient très divisées (euphoriques ou déboussolées). On évoquait dans plusieurs articles un retour à la veine mélancolique de Jackie Brown, mais aussi une somme des obsessions du cinéaste, un trip dans le passé...

Pour ma part, j'ai trouvé finalement le film étrangement drôle, même si lesté de quelques gros défauts. Tarantino avait, semble-t-il, d'abord envisagé une intrigue pour son long métrage avant de se raviser et de préférer suivre ses personnages dans une balade au coeur du Hollywood de 1969, durant l'été où les adeptes de Charles Manson commirent d'abominables crimes, tuant notamment Sharon Tate. Un fait divers qui fut considéré comme la fin de l'innocence, le terme de la mouvance hippie, en parallèle de l'enlisement du conflit au Vietnam.

De fait, l'histoire flotte beaucoup et pendant les trois quarts, on assiste à un enchaînement de scènes très plaisantes, dans les pas d'un comédien sur le déclin et de sa doublure. C'est au point que le film pourrait durer ainsi une éternité sans qu'on s'y ennuie vraiment (d'ailleurs la rumeur prête à Tarantino l'envie de proposer un montage alternatif du film qui aboutirait à une mini-série pour Netflix).

Tant, en tout cas, que le récit ne quitte pas Rick Dalton et Cliff Booth, c'est sans doute parmi ce que Tarantino a produit de plus attachant. Il y a en effet une sorte de mélancolie dans le parcours de ces deux vétérans des studios, mais elle n'est pas triste, elle est tendre, marrante, cool. Le cinéaste adresse des clins d'oeil directs, plus francs, moins roublards que d'habitude, au cinéma qu'il aime, comme quand il montre Dalton jouant le rôle ayant finalement échu à Steve McQueen dans La Grande Evasion, ou qu'il inflige une raclée à un Bruce Lee insupportablement arrogant via Cliff Booth.

Le statut de Tarantino lui permet d'attirer les plus grosses stars, y compris pour des petits rôles, mais aussi pour jouer ses héros. Il retrouve ainsi Leonardo di Caprio (qu'il avait dirigé dans Django unchained) et Brad Pitt (après Inglorious Basterds) pour incarner cet acteur et sa doublure et les deux acteurs font merveille. Leur complicité est palpable et ressuscite les mythiques duos de Hollywood (Newman-Redford par exemple). Il est savoureux de voir di Caprio jouer un acteur à la ramasse et Tarantino tire le meilleur de son interprétation, tendue, cabotine, très actor's studio : ce n'est plus du tout le jeune premier sans âge que la caméra de Robert Richardson saisit mais une star un peu bouffie, qui campe Rick Dalton comme un double raté de lui-même.

Pourtant, il n'est pas injuste d'affirmer que le grand gagnant reste Brad Pitt, récompensé justement de plusieurs prix, dont l'Oscar du meilleur second rôle (pourquoi seulement "second" alors qu'il a au moins autant de temps de présence à l'écran que di Caprio ? Mystère.). J'ai longtemps été dubitatif devant les éloges dont on couvrait Pitt, mais à cinquante ans passés, il a indéniablement gagné en épaisseur. Après son divorce médiatisé et une cure contre son alcoolisme chronique, l'ancien Apollon apparaît affûté (et Tarantino ne manque pas une occasion d'immortaliser le physique impeccable de son comédien). Surtout il traverse le film avec une sorte de grâce féline, un sommet de "coolitude" irrésistibles, comme s'il s'amusait de sa propre légende, avec le détachement de ceux qui ont plongé profond et remontent ragaillardis à la surface.

On sera en revanche beaucoup plus perplexe devant les louanges tressés à Margot Robbie tant son rôle est peu développé et son jeu irritant. Tarantino a-t-il eu peur de croquer Sharon Tate ? En tout cas, Robbie ne lui ressemble déjà pas du tout physiquement, mais son air constamment béât la rend bien fade, limite idiote. Au final, elle semble ne faire que passer, allant et venant sans avoir rien à défendre. Le même reproche peut d'ailleurs être adressé à toutes les véritables célébrités que Tarantino convoque dans sa reconstitution, un artifice inutile (seul Damian Lewis compose un Steve McQueen épatant le temps d'une scène).

Passé ce long premier acte, qui est le meilleur atout du film (mais aussi son pire ennemi car on peut très bien décrocher en se demandant où tout cela veut en venir), le dernier quart reprend un dispositif déjà vu dans Inglorious Basterds puisque Tarantino réécrit totalement l'Histoire. Il avait autrefois tué Hitler. Il sauve ici Sharon Tate et ses amis des atrocités de la Manson's family lors d'un final ahurissant et jouissif, véritable sommet en termes de mise en scène. Lorsque di Caprio dégaine un lance-flammes pour carboniser une des fidèles de Manson, on est dans le grand-guignol, mais aussi un spectacle régressif et hilarant, qui rend l'épilogue poignant.

Car Tarantino sauve non seulement Sharon Tate de son funeste destin, mais aussi le Hollywood de 1969, celui de sa jeunesse, et donc par ricochet il refait le match, gagne la partie, modifie toutes ses origines. Le coeur de Once Upon a Time... In Hollywood est bien là : le cinéma de QT n'est jamais meilleur que dans cette réalité parallèle, idéalisée, fantasmée, délirante. On comprend alors pourquoi ce "Il était une fois..." séparée de "... A Hollywood" est si important pour lui : c'est ce qui indique la dimension fantastique de son oeuvre, de son film qui est un conte, un authentique conte de fées, où les starlettes échappent aux monstres, où les acteurs déclinants renaissent, où les doublures sont des héros chevaleresques (bien que totalement défoncés à l'acide).