dimanche 15 novembre 2015

Critique 750 : BLUEBERRY, CYCLE 9 : A LA CONQUÊTE DE PEARL - TOMES 23 : ARIZONA LOVE, de Jean-Michel Charlier et Jean Giraud


BLUEBERRY : ARIZONA LOVE est le vingt-troisième tome de la série et le seul volet du Cycle d'A la conquête de Pearl, co-écrit par Jean-Michel Charlier et Jean Giraud et dessiné par Jean Giraud, publié en 1990 par Dargaud.

Alors que Chihuahua Pearl s'apprête à épouser Duke Stanton, Blueberry fait irruption dans l'église de Tacoma et enlève la jeune femme. Aussitôt l'ex-futur mari se lance à leur poursuite en compagnie de mercenaires menés par son homme de main, Traber. Tout ce bon monde est lui-même suivi par le shérif Cochran et son adjoint Tex Donahue.
Blueberry se cache dans une caverne où il révèle à Pearl qu'il a été gracié par le président Grant et riche grâce au magot que lui a laissé Vigo. La belle accepte alors sa demande en mariage, même si elle exprime vite sa préférence pour mener une vie bourgeoise dans une grande ville plutôt que dans un ranch comme le projette l'ancien lieutenant.
Pearl finit par abandonner Blueberry en lui fauchant son argent. Peu après, les sbires de Stanton mettent la main sur le fugitif qui réussit à semer la discorde dans leurs rangs et convainc les mercenaires de partager l'argent volé par la jeune femme s'il l'accompagne à Yuma.
Pearl attire vite l'attention en ville et bientôt, Stanton, Traber, le shérif Cochran, son adjoint et Blueberry, qui s'est débarrassé des gredins, vont régler leurs comptes. Avec qui partira la belle Lili Calloway ?

Alors qu'il a rédigé le script des 22 premières pages de ce tome 23, Jean-Michel Charlier succombe à une infection rénale dans la nuit du dimanche 9 au lundi 10 Juillet 1988. Après deux ans à hésiter, remanier et découper graphiquement cette histoire, Jean Giraud termine donc seul Arizona Love, où, après que Blueberry ait retrouvé l'honneur et la fortune, il entreprend d'épouser son grand amour, Chihuahua Pearl - sauf que celle-ci est déjà l'église sur le point de s'engager et ignore tout du projet du yankee !
(Ci-dessus : Jean Giraud dévoile la première image
de l'album dans "Télé 7 Jours" en Juillet 1989.)

Comme Gir l'a expliqué, alors qu'il travaillait sur l'album, dans un article de "Télé 7 Jours" (que j'ai conservé comme un fétiche depuis plus de 25 ans), le dessinateur et son scénariste avaient "parlé de l'idée générale. Les bases étaient jetées.". Mais l'artiste continue à collaborer avec un fantôme : "quand je dessine, je lui parle en silence. Je lui dit : "oui, ce n'est peut-être pas ce que tu aurais voulu, mais c'est ce que je suis, moi". Et il poursuit en avouant ne pas toujours gagner dans cet échange : "il m'arrive de lui dire : "tu as raison. Il vaut mieux rester dans le style.".

Loin d'être une aventure conclue tristement (et définitivement, puisque, cinq ans après, Giraud ajoutera un dixième Cycle à la série, Tombstone, en cinq tomes, puis un hors-série, Apaches), Arizona Love est un récit léger, souvent drôle, très agréable à lire : le meilleur des hommages, la transition entre la dernière scène écrite par Charlier et la première reprise par Giraud est quasi-imperceptible (tout juste peut-on deviner que la scène onirique, et burlesque, à partir de la bande 3 de la page 31 est certainement une addition de l'artiste). C'est une oeuvre très aboutie, qui est une de mes préférées dans toute la série.

Comme souvent, c'est une longue (64 pages !) poursuite, mais moins intense et dramatique que les classiques du genre de Blueberry : tout procède ici par sauts successifs, depuis l'enlèvement de Pearl, jusqu'à la fuite de celle-ci, la capture de Mike par les hommes de Stanton, et les chassés-croisés dans la nuit de Yuma. Giraud exploite à merveille cette construction, sans s'égarer, en campant chaque personnage avec soin, sur un rythme enlevé, et un esprit très malicieux.

Tout est là pour ravir le fan : l'éternelle déveine de Blueberry, la duplicité de Pearl, la jalousie de Stanton, la nervosité inquiétante de Traber, la bonhomie du shérif Cochran, la candeur de son adjoint, la bêtise des mercenaires. Et Giraud a réussi à injecter un zeste d'érotisme sans sombrer dans la vulgarité puisque, pour la première fois, rien ne nous est caché des charmes de Pearl - sans nul doute, la plus belle femme de toute la BD franco-belge, pin-up blonde qui tourne la tête de tous les mâles du far-west avec son visage angélique, ses longs cheveux blonds, ses formes parfaites... Malgré son effroyable cupidité !

Bien qu'ayant toujours plusieurs plats sur le feu, Giraud ne bâcle absolument pas ses pages, qui figurent aisément parmi les plus belles qu'il ait produites. Il est au sommet de son art à 52 ans alors.

Alors qu'il emploie les ressources des ordinateurs dans ses travaux parallèles signés Moebius, il reprend le crayon, la gomme, le pinceau et réalise des doubles strips pour les remonter ensuite en planches à quatre bandes. Signe de son investissement, il refait carrément des demi-pages quand il n'en est pas satisfait - même quand la première version est déjà superbe, comme en témoigne l'exemple ci-dessous :
(Ci-dessus : les deux dernières bandes de la planche 16,
telles que publiées dans l'album.)
 (Ci-dessus : les deux dernières bandes de la planche 16,
telles qu'initialement dessinées par Gir. 
Quelle version préférez-vous ?)

Florence Breton met l'album en couleurs et le résultat magnifie les séquences de Gir (même si certaines teintes ont été mal traitées visiblement à l'imprimerie).

J'ai une grande tendresse pour cet album qui marque vraiment la fin d'une époque pour la série : je l'ai lu et relu de nombreuses fois, toujours avec un égal plaisir. Il a un charme irrésistible, une sorte de mélancolie joyeuse communicative. Aujourd'hui que Giraud a rejoint Charlier dans d'autres grands espaces, Arizona Love est devenu un document précieux : la dernière carte d'un des meilleurs tandems de la bande dessinée franco-belge, qui a donné au western son chef d'oeuvre.
*
Pour la bonne bouche, quelque bonus :
(Ci-dessus : Jean-Paul Belmondo était le modèle de 
Gir pour dessiner Blueberry, même s'il s'inspira aussi
de Charles Bronson, Arnold Schwarzegger ou Vincent Cassel
- "avec les cheveux de Mike Brant" !)
(Ci-dessus : Chihuahua Pearl au sujet de laquelle
Gir aurait d'abord pris pour modèle Angie Dickinson,
avant certainement de s'inspirer de Jane Fonda.)

1 commentaire:

HERVE a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.